12 déc. 2022
Quelle est la diversité des essences que nous plantons dans nos forêts ?
Nous plantons dans nos massifs forestiers différentes essences d’arbres afin d’augmenter résilience et biodiversité tout en conservant des forêts de production.
Nos forêts sont plantées d’essences diverses et mélangées, afin d’accroître leur résilience et leur potentiel de biodiversité. Qu’il s’agisse de terres laissées à l’abandon, de forêts ayant subi des coupes rases, de projets de séquestration de carbone, nous plantons toujours une essence objectif, une à deux essences secondaires et une ou plusieurs essences de diversité. Nos itinéraires forestiers respectent ainsi les principes de la sylviculture PRO SILVA.
Notre sylviculture PRO SILVA privilégie la structure irrégulière continue et proche de la nature
La sylviculture PRO SILVA est une école de pensée forestière qui privilégie la plantation et la gestion des forêts dans un objectif de production de bois respectant les écosystèmes forestiers, en évitant au maximum les coupes rases et en favorisant le mélange des essences. Membres de cette association de foresterie, nous en adoptons les principes.
C’est ainsi que nous menons toutes nos forêts vers des futaies irrégulières par la récolte individuelle des arbres d’après les principes de la futaie jardinée, en privilégiant la régénération naturelle mais sans nous interdire la plantation lorsque la régénération artificielle s’avère nécessaire, en complément ou sur la totalité d’une terre qui n’était pas boisée. De même, nous privilégions la plantation d’essences d’arbres indigènes, propres à chaque station forestière sans nous interdire d’y adjoindre des essences exogènes en fonction de la nécessité de production, de valorisation du sol, d’adaptation aux modifications climatiques en cours ou d’enrichissement de la diversité des espèces. Pour nous, le développement de la biodiversité est ainsi une problématique centrale dans toute plantation et gestion forestière.
Comment se plante une forêt ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître à première vue, une forêt se plante en rangs d’oignons, et cela depuis bien longtemps. La personne qui assiste à une plantation pour la première fois peut être surprise d’observer les alignements d’arbres, croyant que cela restera ainsi et qu’en lieu et place d’une forêt c’est une culture d’arbres qui est plantée. Mais il faut bien comprendre que la forêt se jardine sur un temps long et que le prélèvement régulier d’arbres à des âges divers lui donnera peu à peu l’aspect d’une “vraie” forêt, c’est-à-dire telle que nous l’imaginons.
Pour les planteurs, il est beaucoup plus simple de mettre en terre des jeunes plants en alignement. Pour les ouvriers forestiers, c’est indispensable, afin de pratiquer les dégagements sur les lignes, car les premières années la végétation concurrente pousse plus vite que les arbres. Pour éviter qu’ils meurent étouffés, il faut débroussailler deux à trois fois par an, donc savoir où sont les petits arbres. Vient ensuite, au bout de vingt ans environ, la première éclaircie, qui permet d’effectuer le cloisonnement. Celui-ci est indispensable aux travaux forestiers : il s’agit de supprimer des lignes d’arbres pour ouvrir des chemins accessibles aux engins de débardage et ainsi limiter les passages de machines dans ces cloisonnements.
Pourquoi planter une ligne d’arbres si c’est pour la supprimer au bout de vingt ans ? Pour que les vingt premières années, les arbres poussent serrés et s’élèvent ainsi haut et droit, afin de donner de beaux fûts. C’est le principe de la futaie. D’autres éclaircies seront pratiquées par la suite (tous les 5 à 12 ans selon les essences) et, suivant le principe de la futaie irrégulière, les arbres ne seront pas tous prélevés d’un coup mais au fur et à mesure, ce, dans toutes les classes d’âge et de diamètre. C’est ainsi que, d’un alignement d’arbres, la forêt se fait enchevêtrement d’étages, de sous-étages et d’essences diverses qui, après quelques décennies, n’ont plus rien d’un champ de plantation, attendu que les strates arbustives et herbacées seront également présentes. Les belles forêts que nous connaissons en Europe sont en réalité des chaos ordonnés. Il faut également noter que tous les arbres prélevés ont une utilité pour la filière forêt-bois.
Essences objectif, essences secondaires, essences d’accompagnement, que plantons-nous ?
Qu’est-ce que l’essence objectif ?
Les forêts sont plantées dans un objectif de production de bois, de séquestration de carbone, d’enrichissement de la biodiversité et d’accueil du public. Afin de prendre en compte ces quatre aspects, nous plantons une essence principale, dite essence objectif, qui représente de 60 à 70% des plants de la parcelle. C’est l’essence d’arbre destinée à la production de bois. En la plantant, nos forestiers sont assurés qu’elle aura un débouché économique valorisant : chênes, pins maritimes, Douglas, sapins pectinés…
Cette essence objectif est plantée sur les lignes de cloisonnement (qui seront donc prélevées à la première éclaircie) sans mélange, et dans le reste de la plantation, sur un rythme de 3 arbres sur 4 en mélange pied à pied, explique Vianney de la Brosse, gestionnaire de nos forêts de Bretagne.
“Lorsque l’essence objectif représente 70% de la plantation, on considère que la parcelle est modélisée sur cette essence, pour ce qui est de l’itinéraire sylvicole, ajoute Arnaud De Grave, gestionnaire forestier, responsable de nos forêts de l’est de la France. Si la proportion descend à 60%, je considère qu’il y a deux parcelles avec deux itinéraires sylvicoles différents, un pour chaque essence, lors de la modélisation économique ou des calculs de carbone séquestré et stocké. Il peut arriver que l’on plante sur la future ligne de cloisonnement une essence de moindre valeur économique que l’essence objectif. Cela dépend de l’approvisionnement en plants. Mais il faut aussi avoir à l’esprit que l’entreprise qui viendra faire les prélèvements lors de la première éclaircie cherchera à valoriser ce bois d’une vingtaine d’années et qu’il vaut mieux, pour cela, qu’il s’agisse d’une essence unique, plus facile à commercialiser et qui ait un marché.”
Qu’est-ce que l’essence secondaire ?
“L’essence secondaire est également une essence de production sylvicole, indique Vianney de la Brosse. On peut d’ailleurs planter deux essences secondaires qui représentent 20 à 30% de la quantité totale de plants à l’hectare. Bien que l’objectif soit la commercialisation de son bois, on peut prendre un peu plus de risques en choisissant des essences moins recherchées mais qui ont de bonnes propriétés mécaniques et/ou des essences encore peu testées mais qui aient un intérêt quant à la résilience des forêts au changement climatique. Il s’agit parfois d’essences plus sensibles qui permettent de diversifier la plantation et de répartir les risques, selon une logique de résilience des écosystèmes : merisier, séquoia, châtaignier, thuya plicata, chêne rouge... L’essence secondaire est plantée avec l'essence principale (1 arbre sur 4 en mélange pied à pied).”
“L’essence secondaire, ajoute Arnaud De Grave, on s’arrange pour que sa courbe de croissance ne soit pas trop éloignée de celle de l’essence objectif car elle est modélisée suivant le même itinéraire. Par exemple, on peut planter du Douglas en essence objectif et du châtaignier en essence secondaire, toutes deux ayant une courbe de croissance rapide mais je ne planterais pas du cèdre, dont la croissance est lente, avec du pin, qui pousse vite. Le cèdre, qui prend son temps pour pousser les premières années, aurait toutes les chances d’être gêné dans sa croissance par une essence secondaire qui lui ferait rapidement de l’ombre.”
Qu'est-ce que l’essence d’accompagnement ou de diversité ?
Sur les 10% restants de la quantité totale de plants à l’hectare, nous plantons ce qui s’appelle une essence de diversité, qui peut être multiple. “Il s'agit, explique Vianney de la Brosse, de plants de diversification qui ont pour objectif soit de favoriser la biodiversité, soit de casser la structure régulière afin de préparer l'irrégularisation du peuplement. Il peut s'agir de hêtres ou de sapins qui sont des essences d’ombre, de noisetiers de Byzance, résistants au changement climatique, ou de fruitiers forestiers (pommiers ou poiriers sauvages). Ces essences de diversité sont placées en mélange par bouquets d’environ 20 plants entre les cloisonnements.”
“Dans nos essences d’accompagnement, on peut encore compter l’alisier torminal qui produit un bois de très bonne qualité, prisé par certains menuisiers, poursuit Arnaud De Grave. Si l’objectif n’est pas d’abord économique, il n’est pas exclu qu’un menuisier soit intéressé par certains sujets que nous mènerons à maturité. En ce cas, le prélèvement se ferait à l’unité, en veillant à ne pas briser l’équilibre de l’écosystème. Parmi ces essences dédiées à accroître la résilience de la forêt, ajoutons l’alisier blanc, le cormier, le sorbier des oiseleurs, l’érable plane, l’érable champêtre, l’érable sycomore, le tilleul cordata, le tilleul à grandes feuilles, le cryptomeria, l’érable à feuilles d’obier…
Par ailleurs, ces essences d’accompagnement peuvent permettre de tester l’adaptation de certaines. On considère par exemple que le noisetier de Byzance a un potentiel de production de bois d'œuvre et qu’il peut être mené en futaie. S’il n’y a pas vraiment de marché pour cette essence aujourd'hui, il est possible qu’il y en ait un dans quelques années. Or, nous savons que le temps des arbres et des forêts est très long.
Le merisier, quant à lui, se comporte assez mal en société, il préfère la solitude ! Il est ainsi intéressant d’en planter aux lisières et de l’éparpiller. Non seulement, il produit un très beau bois rose, mais il donne également des fleurs au fort potentiel mellifère. De manière générale, les essences d’accompagnement que nous plantons sont des feuillus. Pour ma part, j’aime planter ces essences en placeaux, ce qui favorise leur pousse en petits bosquets qui sont faciles à retrouver, une fois bornés sur le GPS, et qui est bon pour la résilience.”
Le gestionnaire forestier considère à égalité les aspects écologiques et économiques
Enfin, à côté des arbres de différentes essences que nous plantons, d’autres s’installent aussi d’elles-mêmes, c’est-à-dire selon les lois naturelles qui président au transport des graines : vent, eau, oiseaux, rongeurs, mammifères… Ces essences d’arbres ou d’arbustes peuvent constituer les sous-étages essentiels au développement de futaies irrégulières et enrichissent la biodiversité. Il revient au gestionnaire forestier de marquer celles qui seront supprimées si elles mettent en danger l’itinéraire sylvicole ou de les conserver quand elles sont essentiellement un atout.
“A mon sens, conclut Vianney de la Brosse, il n’est pas possible de mélanger davantage les essences lors de la plantation sans remettre en question l’exploitabilité et donc le potentiel économique de la forêt. Aucune entreprise de travaux forestiers n’acceptera d’exploiter une plantation trop mélangée. D'autre part, ces plantations doivent être réalisées par blocs de minimum 5 ha d'un seul tenant avec la même essence principale, sinon, on ne pourra pas les exploiter, encore moins les irrégulariser à l'avenir, car les volumes d'éclaircies seront trop faibles avec trop d’arbres différents pour qu’elles puissent être mises en oeuvre.”