9 juin 2020
Rapport de la Cour des Comptes sur la filière forêt-bois : doit mieux faire
Pour la Cour des Comptes, les performances économiques et environnementales de la filière forêt-bois pointent son importance et sa situation difficile.
Un récent rapport de la Cour des Comptes sur les performances économiques et environnementales de la structuration de la filière forêt-bois met en lumière son importance et sa situation difficile. Alors que la forêt joue un rôle central dans l’économie française, mais aussi dans la lutte contre le réchauffement climatique, la culture, l’environnement et les loisirs, la filière forêt-bois est en crise depuis deux décennies sans que l’Etat prenne les mesures nécessaires, nous disent les sages de la rue Cambon.
La filière bois-forêt est économiquement importante mais en difficulté
En France, l’activité de la filière forêt-bois génère 60 Md€ et emploie 440 000 personnes, soit davantage que l’industrie automobile. Nonobstant l’importance économique majeure de cette filière, il semble qu’elle soit relativement délaissée par les pouvoirs publics. Pourtant, cette filière, dont la forêt est le centre, est au coeur d’enjeux cruciaux tant d’un point de vue économique, qu’environnemental et social.
La Cour des Comptes relève que l’adage selon lequel “le bois paie la forêt” n’est plus d’actualité, car l’équilibre économique a été rompu, si bien que la fonction économique de la forêt ne suffit plus à assurer ses autres fonctions.
“La filière est, depuis au moins deux décennies, en crise structurelle, entretenue par un sous-investissement chronique et une compétitivité insuffisante. Cette crise révèle un manque d’intégration entre l’amont et l’aval, entre l’offre et la demande de bois.”
La forêt française est sous-exploitée
A peine la moitié de l’accroissement annuel de la forêt est récolté. Ainsi, en trois décennies le volume de bois en forêt a-t-il cru de 45%. Certes, une grande partie de la surface forestière française est difficile à exploiter en raison du relief : un tiers, selon la Cour des Comptes, qui relève toutefois qu’une “gestion dynamique des forêts se heurte à de nombreux autres freins”. En France, les trois quarts des forêts sont privées et seul le tiers de ces forêts “applique des engagements de gestion durable”. C’est dire si la marge de manoeuvre est grande.
Les sages notent que “les pratiques de vente du bois ne permettent pas aux industriels de sécuriser suffisamment leurs approvisionnements ; les métiers de l’exploitation forestière et de la première transformation du bois manquent d’attractivité.”
Les menaces qui pèsent sur la forêt
La forêt française est en croissance constante et, pourtant, elle ne se renouvelle plus suffisamment. Nous ne dirons jamais assez que les forêts, pour être bien portantes et productives, doivent être accompagnées dans leur régénération. Or, la Cour des Comptes estime que la régénération naturelle ou par plantation des forêts est “en net recul” depuis vingt ans, ce qui fait craindre, à moyen terme, que trop peu de bois d’oeuvre soit disponible.
Les deux plus importantes menaces qui pèsent sur la forêt en France ne sont pas du tout la déforestation, d’après le rapport de la Cour des Comptes, mais la prolifération du grand gibier, qui est en surnombre dans la moitié des forêts domaniales de production et qui broute les petits plants d’arbre, empêchant la régénération, ou blesse les arbres en les écorçant. Le nombre de cerfs et de chevreuils dans nos forêts a été multiplié par dix en quarante ans, et la chasse ne joue plus son rôle de régulateur des populations de grand gibier. Mais c’est là un sujet sociétal délicat.
La deuxième grande menace qui plane sur les forêts est le changement climatique. Celui-ci augmente le risque de tempêtes et de sécheresses qui favorisent la prolifération des champignons ou insectes parasites, comme nous l’avons vu avec les récentes attaques de scolytes typographes. Or, dans les forêts, ces dégâts naturels ne sont pas indemnisés.
Une filière forêt-bois déséquilibrée
Le déficit commercial ne cesse de croître, et il est à présent de 7 Md€, alors même que la France dispose de la troisième surface forestière d’Europe et de la première place, pour ce qui est de la production de chênes. Cela, en partie à cause de la spécialisation de la filière. Nous exportons de grandes quantités de bois brut et importons énormément de bois transformé. Il faudrait réadapter la filière, afin que les industries de première et de deuxième transformation soient complémentaires. Nous devons relancer la construction bois, la conception de meubles en bois et de papier-carton, trois secteurs qui concentrent une grande partie du déficit commercial. L’enjeu est crucial car la filière forêt-bois est la première activité économique et industrielle de certaines régions rurales qui se trouvent fortement affectées par son abandon progressif. C’est une question économique de toute première importance.
L’enjeu climatique et environnemental de la forêt française
La filière forêt-bois n’a pas qu’un enjeu économique en France, même s’il est très important. A l’ère du réchauffement climatique, elle est aussi le plus important puits de carbone terrestre. Pour lutter contre la hausse des émissions de gaz à effet de serre, il n’est rien de plus efficace que d’entretenir des forêts dont les arbres, en croissant, stockent du CO2. Non seulement, le bois peut remplacer bien des matériaux qui génèrent de la pollution (ciment, chaux, acier…) mais il permet de la contenir. Un arbre utilisé pour la fabrication d’un meuble ou dans la construction, c’est autant de CO2 capté et stocké pour de très longues années.
Ainsi, écrit la Cour des Comptes, “la stratégie adoptée par la France se fonde sur l’idée que la gestion active de la forêt, par l’amélioration des peuplements et une mobilisation accrue de bois, permet d’augmenter la séquestration de carbone : enjeux climatiques et économiques vont ainsi de pair.”
Les autres fonctions de la forêt
Mais la forêt assume d’autres fonctions encore. Elle préserve la qualité de l’eau, de l’air et de la biodiversité. Elle évite l’érosion des sols, offre des terrains de chasse, de pêche, de promenade et d’autres loisirs. Mais ce que l’on appelle les “aménités” de la forêt (climat, biodiversité et services récréatifs) “ne sont encore que marginalement financées.”
Aussi, constatent les sages de la rue Cambon, “paradoxalement, une part croissante de l’opinion publique, tout en étant favorable à l’utilisation de bois, accepte de moins en moins les coupes d’arbres, concevant la forêt avant tout comme un lieu de loisirs et un espace menacé à sanctuariser, bien que la déforestation ne touche pas les forêts françaises, qui ont au contraire doublé en deux siècles.”
C’est ce que d’autres, comme l’historienne Martine Chalvet, appellent le retour du romantisme. Les forêts seraient des espaces vierges à ne pas toucher. Couper des arbres paraît criminel à certains, comme mener des bêtes d’élevage à l’abattoir. Mais c’est méconnaître le fonctionnement de la nature. Il n’existe nulle forêt en Europe qui n’ait pas été modelée, de près ou de loin, par la main des hommes depuis le Néolithique. L’homme ne détruit pas les forêts quand il procède à des coupes raisonnées d’arbres, au contraire, il donne à la nature le moyen d’exprimer tout son potentiel. De la même manière que sans élevage, il n’y aurait plus moutons ni vaches dans nos prairies.
Une filière que l’Etat doit aider à se structurer
Le récent rapport insiste sur les efforts trop timides de l’Etat pour favoriser l’émergence d’une filière forêt-bois rentable, compétitive et qui permette de répondre aux enjeux majeurs du siècle : lutte contre le réchauffement climatique, relocalisation des emplois, augmentation des circuits courts, écologie et développement durable. Cela pour plusieurs raisons liées à un éclatement de la filière tant au niveau des entreprises et des syndicats que de l’Etat, car la filière occupe une place transverse dans plusieurs portefeuilles ministériels. Faute d’actions collectives au niveau européen, la filière forêt-bois peine à se faire entendre et à s’organiser. Selon la Cour des Comptes, les régions sont les entités administratives les plus compétentes pour aider cette filière, mais elles doivent être soutenues par l’Etat. La Cour dresse une liste de préconisations pour conclure que “l’État doit soutenir les acteurs de la filière dans la communication sur la gestion durable des forêts, qui ne saurait reposer uniquement sur les acteurs privés.”
Il est notable que les rapports de la Cour des Comptes sont rarement cléments envers les gouvernements français. Le constat que dresse ce rapport est toutefois hautement pertinent. La filière forêt-bois française mérite d’être soutenue et développée, car c’est un enjeu non seulement stratégique pour la France mais crucial pour l’avenir, menacé comme nous le savons par le changement climatique et l’appauvrissement inquiétant de la biodiversité terrestre.