5 avr. 2019
Ecologie : méfions-nous du romantisme !
Alors que la superficie de la forêt française a doublé depuis le XIXe siècle, on entend toujours des propos alarmistes sur la disparition des forêts et leur supposée mauv
Alors que la superficie de la forêt française a doublé depuis le XIXe siècle, on entend toujours des propos alarmistes sur la disparition des forêts et leur supposée mauvaise gestion. Or, explique l’universitaire Martine Chalvet, cette ritournelle n’est pas neuve. Elle a couru au long des siècles et connu son apogée à l’époque du romantisme.
Le romantisme est une idéalisation
Si l’époque romantique a accouché de merveilleuses œuvres, elle n’en a pas moins transmis une vision du monde déformée. Le romantisme a été une manière d’idéaliser le monde et les rapports humains, en une période historique sombre. Etant par ailleurs un élan naturel de l’homme, nous en sommes toujours plus ou moins tributaires. Martine Chalvet, maître de conférences à l’université de la Méditerranée, auteur d’Une histoire de la forêt, nous met en garde. Depuis l’abbé Suger, qui était une sorte de Premier ministre des rois Louis VI et Louis VII, on déplore le recul des forêts. « Les protestations éparses qui se lamentaient de la disparition des bois au XVIe siècle s’amplifièrent à l’époque de Colbert, puis au XVIIIe siècle, pour devenir un véritable « concert de voix éplorées » tout au long du XIXe. »
Depuis mille ans, nous fredonnons cet air catastrophiste. Mais c’est surtout le romantisme qui, à la suite de Jean-Jacques Rousseau, se mit à regretter la nature vierge, forcément sublime, éloignée de la cupidité des hommes. Or, il n’y a jamais eu de forêt vierge en Europe et, depuis la chute de l’Empire romain, celle-ci n’a cessé de s’étendre, malgré quelques périodes de recul. Il n’empêche que l’argumentation « pré-écologique », qui date de la fin du XVIIIe siècle, a profondément inscrit une approche alarmiste d’un dérèglement des équilibres de la nature, dû aux hommes.
Une vision alarmiste qui peut servir des intérêts
Le romantisme prit à contre-pied la pensée rationaliste de l’époque qui le précéda. A la suite de Descartes, l’homme s’était voulu « maître et possesseur de la nature », parfois dans l’excès. Ainsi, explique Martine Chalvet, à la veille de la Révolution, « le constat de la dégradation forestière n’indiquait en rien la naissance de conceptions écologistes. Le paradigme dominant restait bien la maîtrise de la nature et son exploitation pour le plus grand bénéfice des hommes et de leur société. » Elle écrit encore que « puisque les bois rares devenaient chers, certains propriétaires tiraient de grands bénéfices à alimenter des descriptions catastrophiques pour maintenir, voire augmenter les prix de la matière ligneuse. »
En somme, le catastrophisme repose souvent sur de mauvaises raisons, nourrissant des intérêts plus ou moins honnêtes.
L’Etat gèrerait mal les forêts
Cet air-là n’est pas nouveau non plus. L’ONF est parfois accusé de surexploiter les forêts, pour de bas intérêts mercantiles. Or relève encore Martine Chalvet, « dès le XVIe siècle, les premiers responsables furent les agents des maîtrises des Eaux et Forêts. A en croire leurs détracteurs, ils se montraient prêts à multiplier les coupes, voire à brader des pans entiers du Domaine royal par incompétence et désorganisation ou pis, par attrait personnel du gain. » Pourtant, démontre l’historienne, il n’y a jamais eu de crise forestière, malgré les craintes. Et, depuis le bas Moyen Age, l’Etat royal, impérial, puis républicain a mis en place une protection rigoureuse des forêts. C’est lui qui a limité l’usage des bois par le peuple qui en menaçait l’écosystème. C’est encore l’Etat qui a permis de développer un capital boisé qui lui était crucial pour faire la guerre. L’ordonnance de Colbert est restée célèbre, mais avant lui, les monarques avaient déjà saisi l’intérêt de bien gérer les forêts. Et cet élan s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui, malgré un recul notable au XIXe siècle.