11 nov. 2020

Pourquoi il est inutile de planter des milliards d’arbres

Pour lutter contre le changement climatique, certains veulent reforester le monde sans se demander si le remède n’est pas pire que le mal.

Pourquoi il est inutile de planter des milliards d’arbres

Une idée localement pertinente ne le sera pas nécessairement à l’échelle mondiale. C’est précisément le phénomène qu’illustrent actuellement les campagnes de reforestation massives qui font les affaires de quelques gros marchands d'arbres peu scrupuleux, bien moins celles de notre planète. Sous couvert de lutter contre le changement climatique, certaines organisations, certains États et certaines entreprises à but lucratif encouragent la plantation d’arbres par milliards dans le monde. Sans se demander si le remède ne serait pas parfois pire que le mal. A la quantité, nous privilégions la qualité, parce qu’il ne suffit pas de planter des arbres, il faut planter les bons arbres au bon endroit et les entretenir tout au long de leur vie. Reforester est à la portée de tout le monde, être forestier est un métier.

Quand planter des milliards d’arbres sur Terre devient idéologique

Depuis plusieurs années, l’arbre est devenu la solution à tous nos problèmes, endossant le rôle de sauveur de l’humanité, en temps de réchauffement planétaire. La plantation d’arbres serait devenu le nec plus ultra de la lutte contre le réchauffement climatique, au risque de voiler une réalité beaucoup moins vertueuse. 
L’idéologie advient lorsqu’une idée est portée aux nues et que tout est accompli en vue d’étayer cette idée et d’en faire l’alpha et l’omega de tout, au détriment du réel et de l’expérience empirique. C’est malheureusement ce qui se passe avec certaines campagnes de reforestation massive que l’on nous présente comme vertueuses et efficaces en soi. Or, les faits sont têtus et nous prouvent que planter des hectares de forêts n’est pas un acte suffisant pour améliorer la vie sur Terre et que cela peut même se révéler nocif lorsque c’est fait en dépit du bon sens. 
Ces opérations de reforestation de grande envergure nous démontrent-elles en quoi leurs opérations sont bonnes et louables ? Non, c’est rarement le cas, comme si nous devions tenir la plantation d’arbres pour un acte bon par essence. L’idéologie ayant cette propension à empêcher toute critique et tout questionnement, nous posons les questions tant que c'est encore possible : est-il bon de planter des milliards d’arbres sur Terre ?

Des politiques de reboisement néfastes

Certains nous annoncent qu’ils vont planter, avec l’aide d’investisseurs privés, plusieurs millions d’arbres en France cet hiver, se faisant fort, par cette démarche, de doubler la masse de leurs plantations de l’année précédente, et de tripler celle de la pénultième. Il se trouve pourtant que le problème des forêts françaises n’est pas d’être trop rares, elles n’ont jamais eu une surface si étendue au cours de leur histoire, mais d’être souvent mal ou pas entretenues
Or, que nous disent les reboiseurs de la France à grande échelle qui mettent en vente des plants d’arbres à des prix défiant toute concurrence sur le suivi de ces plantations et leurs vertus écologiques ? A peu près rien. 
Nous qui sommes forestiers, nous n’arrivons pas à comprendre comment un plant peut être vendu au prix d’un euro en étant entretenu toute sa vie selon les principes d’une sylviculture durable qui mise sur des forêts continues. Planter des arbres n’est pas bien en soi, si les arbres ne sont pas protégés, entretenus et plantés dans un sol qui leur convient et dans le but d’améliorer un écosystème.

La reforestation du monde pose des problèmes

Pour ce qui concerne la France, le terme de reforestation est impropre, car il n’est de reforestation qu’à la suite d’une déforestation comme cela arrive, malheureusement, dans certaines parties du monde, notamment en Amazonie. Les champions de la reforestation mondiale parient donc, pour certains, sur la faiblesse de certains régimes politiques ou sur la corruptibilité de propriétaires peu soucieux de l’environnement. 
Une étude menée par l’Université de Californie, publiée cet été dans la revue Nature montre ainsi que le financement de nouvelles plantations d’arbres au Chili entre 1986 et 2011 a eu un impact négatif sur la biodiversité et, très probablement, sur la captation de carbone. Tout simplement parce que l’argent distribué a servi à planter des essences d’arbres “rentables” qui ont pris la place de forêts primaires qui leur préexistaient, la politique de plantation faisant fi des écosystèmes natifs. 
Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres que cite un passionnant article publié dans Les Echos. Ainsi en Turquie, à peine 10% des 11 millions d’arbres plantés à grand renfort de communication auraient survécu, faute de suivi et d’entretien. La grande campagne de plantation en Ethiopie n’aurait pas accouché de résultats plus glorieux. 
Le grand danger auquel nous expose la reforestation du monde, décrétée par certains, et qui fait largement les intérêts de pourvoyeurs de plants à grande échelle, est la pression financière qui pousse des régions pauvres du monde à arracher leurs forêts pour accueillir des plantations nouvelles, souvent en monoculture ou d’espèces exotiques, et la manne financière qui les accompagne. 
Voici pourquoi il est dangereux de prétendre reforester la planète entière. Et parce que les intérêts financiers sont juteux et que cela demande moins de travail que d’entretenir une forêt qui existe déjà en France ou en Europe. 
Le défi de Bonn, dans lequel se sont engagés plus de 100 gouvernements, et qui prétend replanter 350 millions d’hectares de forêts d’ici à 2020 prévoit ainsi 80% de plantations en monoculture ou en nombre d’essences limitées et souvent exogènes. 
C’est pour les mêmes raisons que nous sommes sceptiques quant aux ambitions avouées de Thomas Crowther de planter 1200 milliards d’arbres sur la planète en quelques années. Combien survivront et pour quel véritable bénéfice écologique ? Dans la lutte contre le réchauffement climatique, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.

Ce n’est pas le nombre d’arbres plantés qui importe mais la qualité des forêts

Si nous insistons tant sur la pédagogie pour expliquer pourquoi il peut être important de planter des arbres, mais surtout d’entretenir les forêts, c’est que là est la faiblesse inavouée des grands projets de reforestation, qui font comme s’il allait de soi que planter des arbres partout était bon. 
Les arbres sont certes nos alliés dans la lutte contre le réchauffement climatique car ils apportent de la fraîcheur, de l’humidité, enrichissent les sols, absorbent une partie du carbone émis par nos activités, et nous apportent encore bien d’autres avantages quantifiables et inquantifiables (le rôle social et culturel des forêts). 
Mais cela, à condition qu’ils soient plantés dans le respect des écosystèmes qui leur préexistent, d’une sylviculture durable et écologique et qu’ils soient choyés tout au long de leur vie. La mission que s’est proposée EcoTree est de reboiser certaines friches ou certaines forêts laissées à l’abandon, mais surtout de gérer et d’entretenir les forêts qui lui appartiennent. Pour ce qui est de la séquestration du carbone, comme de l’enrichissement de la biodiversité, l’important n’est pas la quantité d’arbres plantés mais la qualité des plantations et du suivi des forêts. 
Il se trouve encore trop de forêts non entretenues en France, qui émettent parfois plus de CO2 qu’elles en absorbent, parce que le renouvellement des essences ne se fait pas proprement ou parce qu’elles partent en fumée aux premières chaleurs. Et malheureusement les forêts primaires d’Amazonie ou du bassin du Congo sont arrivées à un point de basculement faisant craindre qu’elles émettent bientôt plus de carbone qu’elles n’en absorbent, en partie à cause d’une déforestation que soutiennent à leur corps défendant de grands projets de reforestation qui s’ingèrent dans des économies locales qui n’ont pas les armes pour lutter contre un business implacable. Commençons par balayer devant notre porte, c’est-à-dire par nous occuper des arbres qui poussent chez nous et laissons pousser en paix les forêts d’Amazonie.
 

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