22 sept. 2020
Entretien avec Anne-Catherine Loisier, sénatrice de la Côte d’Or
Gestionnaire de forêts, la sénatrice Anne-Catherine Loisier a un lien étroit avec la nature et se bat pour l’avenir de la filière forestière française.
Mme Anne-Catherine Loisier est sénatrice de la Côte d’Or, vice-présidente de la Commission des Affaires économiques, notamment compétente dans le secteur de la forêt, et membre de la Délégation sénatoriale aux entreprises. Outre cela, Mme Loisier est gestionnaire de forêts. En pleine campagne pour les prochaines élections, elle a trouvé du temps pour nous parler de l’avenir de la filière forestière, essentielle à ses yeux.
Quel est votre lien avec les forêts ?
Anne-Catherine Loisier : Je travaille pour un expert forestier. Dans ce cadre, je fais tout le suivi des forêts qui lui sont localement confiées par différents propriétaires. Je m’occupe des plantations, des coupes, des différents types de travaux, des baux de chasse. En un mot, tout ce qui concerne la forêt du point de vue de la réglementation, des travaux pratiques, des relations avec les élus, de toute la gestion locale.
Est-ce votre métier ?
A-C. L. : Oui. Je me suis adaptée aux circonstances. J’avais passé le concours d’attachée territoriale qui ne me destinait pas à faire de la gestion forestière, mais ayant été élue assez jeune, je ne me voyais pas à la fois fonctionnaire et élue, donc je me suis reconvertie. Comme mon territoire est très forestier, que mon père était déjà dans ce milieu, j’ai pris le relais. Cela fait désormais vingt-cinq ans que j’exerce ce métier, parallèlement à ma charge d’élue.
“Aujourd’hui, l’impact du changement climatique nous arrive comme une déferlante qui se répand sur tout le territoire”
Que pensez-vous du Plan de relance annoncé par le gouvernement, qui semble vouloir axer sa politique sur les forêts ?
A-C. L. : Je suis ravie que le gouvernement prenne conscience qu’il y a aujourd’hui un enjeu à la fois écologique et sanitaire de nos forêts, parce qu’il s’y passe des choses telles que nous n’en avons jamais vues. Même lors des grandes tempêtes, il ne s’agissait que de problématiques ponctuelles. Aujourd’hui, l’impact du changement climatique nous arrive comme une déferlante qui se répand sur tout le territoire. Les menaces de dépérissement, d’insectes, d’incendies ne sont plus limitées aux régions que nous avions identifiées autrefois. Toutes les régions, toutes les essences d’arbres sont concernées. Et cela arrive très vite.
Il y a toujours eu des changements climatiques, mais qui se déroulaient sur plusieurs décennies. En l’espace de trois ou quatre ans, nous avons assisté à un changement total. Les ravageurs ont déferlé, et les arbres ont péri de la sécheresse, brûlés par les fortes chaleurs ou sous les assauts des scolytes. La situation est sans précédent.
Cela a des effets sur toute la filière bois. Les entreprises en souffrent. Or, la filière bois, ce sont aussi les masques, le papier, le logement… Les enjeux de construction sont importants. Ce phénomène a de multiples conséquences. C’est une bonne chose que le gouvernement commence à s’en rendre compte. Cela fait tout de même plus de trois ans que nous tirons la sonnette d’alarme au sénat !
“La forêt est liée aux défis à venir”
Un récent rapport de la Cour des Comptes tirait également la sonnette d’alarme, rappelant que la filière forêt-bois souffrait depuis plusieurs décennies sans que les gouvernements s’en soucient vraiment.
A-C. L. : Il y a eu de nombreux rapports, ces derniers temps. Je ne pense pas que ce soit uniquement dû au rapport de la Chambre des Comptes. Je crois que c’est d’abord dû à la mobilisation des acteurs professionnels et de nos concitoyens, qui voient bien que leurs forêts dépérissent. Ça a été vraiment frappant cet été. Cela fait un moment que la filière met en garde, notamment dans le Grand Est et en Bourgogne Franche-Comté, à cause des attaques de scolytes. Je crois que tout cela a mené le gouvernement à réagir. On ne peut pas parler de relance de l’économie en faisant une croix sur la filière bois. On ne peut pas parler de lutte contre les changements climatiques en faisant une croix sur ce qui se passe en forêt. Le fait forestier est devenu incontournable. La forêt est liée aux défis à venir. De par les aspects écologiques, mais aussi les besoins de matériaux et d’énergies renouvelables. La forêt est déterminante quant à notre capacité à répondre aux enjeux climatiques à venir. Le gouvernement s’en est enfin rendu compte et commence à proposer des choses, ce dont je suis ravie.
Il va maintenant falloir observer comment cela sera mis en place sur le terrain.
Pensez-vous que l’épidémie de Coronavirus ait joué un rôle dans cette prise de conscience ?
A-C. L. : Oui, je pense, parce que les gens sont restés chez eux, ont davantage prêté attention à leur environnement, et plus globalement, la crise du Covid nous ramène à des choses un peu plus essentielles. Nous avons vu ce phénomène de retour à la campagne. La crise du Covid amène nos concitoyens à se poser des questions.
Comment pouvez-vous porter ces sujets au sénat ?
A-C. L. : Au sénat, nous avons un groupe forêt-bois qui est actif. A l’automne de l’année dernière, nous avons organisé avec l’Assemblée nationale un colloque pour alerter le gouvernement sur le problème du changement climatique, suite à ce qui s’était passé l’été précédent. La situation était déjà très grave l’année dernière, avec des volumes de bois scolyté considérables.
Nous avons également rendu plusieurs rapports au sénat sur le sujet de la forêt.
Mais plus largement se pose la question de l’avenir de l’ONF. Il y a eu beaucoup de tension à ce sujet, ces derniers mois. Comment sera renouvelé le contrat communes forestières Etat ONF et sera-t-il renouvelé ? Quel sera le statut de l’ONF à l’avenir ? Cet organisme a atteint son plafond d’endettement. Cela soulève le problème de l’organisation publique des forêts.
“J’estime que le temps est révolu de considérer à part les forêts publiques et les forêts privées”
Quelle serait la solution ? De privatiser davantage les forêts ?
A-C. L. : C’est un sujet qu’on agite comme un chiffon rouge, mais je ne pense pas que le danger soit la privatisation. Je ne pense pas que ce soit la solution non plus. L’avenir des forêts ne passera pas par là. J’estime que le temps est révolu de considérer à part les forêts publiques et les forêts privées. Nous devons avancer vers un autre modèle, tel qu’il a été mis en place par exemple en Autriche, où un grand organisme oeuvre pour la forêt. La forêt ne s’arrête pas aux limites d’une propriété publique ou privée. Les bonnes solutions pour la forêt sont des solutions par massifs, par enjeux territoriaux et par mobilisation des acteurs de proximité. Cela passe par les chartes forestières de territoires, de plans de développement de massifs…
Au sein de cet organisme que j’appelle de mes voeux, il faudra réfléchir aux types d’exploitation que nous pouvons envisager. Il faut adopter un mode de gestion équilibré, qui soit adapté aux objectifs de société. L’avenir de la forêt ne tient pas essentiellement au statut des agents de l’ONF, même s’il est important.
Comment voulons-nous valoriser nos forêts pour qu’elles répondent aux défis de demain ? Voilà la vraie question.
Ce que je crains, c’est qu’il n’y ait plus de grand organisme de la forêt. S’il était absorbé par l’OFB (Office français de la biodiversité), ce serait dramatique. Ce serait mauvais pour la forêt, qui aurait besoin d’un ministre, hélas nous n’avons plus de ministre de la Forêt, mais aussi d’un grand organisme forestier. Mais à mon sens, il demande à être réformé pour englober les forêts publiques et les propriétés privées dans ses modes de gestion, tout en laissant les particularités spécifiques.
“Il est essentiel que les gens redécouvrent les vertus de la forêt”
Que pensez-vous du projet d’EcoTree, qui fait participer les particuliers et les entreprises à la gestion et l’exploitation des forêts, ainsi qu’au développement de la biodiversité ?
A-C. L. : Cela s’inscrit parfaitement dans l’approche globale de la forêt que j’appelle de mes voeux. Par-delà la nature de leur propriété, les forêts rendent des services sociétaux. Il est essentiel que les gens redécouvrent les vertus de la forêt et pourquoi il est bon de planter un arbre, mais aussi de couper un arbre. Parce que, après que l’arbre a capté du carbone au cours de sa croissance, il y aura du mobilier, de la construction bois, qui stockent le carbone de manière pérenne. Construire en bois, c’est aussi éviter de faire du béton ou d’utiliser d’autres matériaux qui sont responsables d’émissions de gaz à effet de serre.
Des démarches comme la vôtre permettent d’informer les citoyens et de leur faire connaître la valeur essentielle des forêts, alors que certains ont des réactions épidermiques au fait de couper des arbres. Nous l’avons vu dernièrement avec la polémique provoquée par les sapins de Noël.
Nous avons perdu conscience de l’harmonie et de la diversité de ce que nous propose la forêt. Certains mélangent tout, par des approches, à mon sens, dangereuses. Planter des arbres pour les laisser et ne rien en faire ne résoudra pas l’enjeu climatique. Il faut au contraire utiliser les arbres dans leurs multiples propriétés d’une manière raisonnée et expliquée. C’est pourquoi je pense que l’action d’EcoTree est importante. Elle va au-delà d’une approche trop rousseauiste des forêts. Il faut faire de la pédagogie et expliquer tout ce qu’apporte l’arbre.
“Jusqu’où irons-nous si nous ne pouvons plus avoir de sapin de Noël ?”
Cette polémique soulevée par le maire de Bordeaux au sujet des sapins de Noël, qu’en pensez-vous ?
A-C. L. : Je pense que c’est une vision très dogmatique de notre société à venir. L’humain ne doit plus avoir de tradition, de fête, de convivialité. On veut lui enlever les signes qui ponctuent son histoire sociale et qui incarnent quelque chose. Cela m’apparaît comme une manière de déshumaniser notre monde. Jusqu’où irons-nous si nous ne pouvons plus avoir de sapin de Noël ?
On perd de vue l’objectif qui est la vie en société à l’aide de rituels et de traditions. Bien entendu, il faut se demander si ce que nous faisons ne porte pas préjudice à l’environnement, mais là, nous parlons d’un arbre qui est planté, qui croît, qui participe aux écosystèmes et qu’on coupe pour Noël, parce que la vie sociale est aussi importante, sinon essentielle. Cela demande un subtil équilibre. Allons-nous finir par ne plus rien faire et retourner dans les grottes ? Il ne serait pas plus intelligent de dire aux gens qu’il vaut mieux éviter d’aller passer trois jours à l’autre bout de la planète ? Ça me semble beaucoup plus préjudiciable que de mettre un arbre de Noël chez soi ou devant sa mairie.
On dirait que cela dénote une méconnaissance du sujet chez certains écologistes ?
A-C. L. : Ce qu’ils mettent en avant comme arguments, c’est l’usage des produits phytosanitaires ou le fait qu’il s’agisse de culture intensive. Or, l’Association française des sapins de Noël a fait beaucoup pour que les pratiques évoluent et ça ne se passe plus comme ça. Ce sont notamment des moutons qui désherbent. Ce n’est pas parce que les vignerons ont utilisé beaucoup de pesticides, à une époque, qu’il faut cesser de boire du vin. Les pratiques doivent évoluer mais il ne faut pas pour autant mettre un terme à nos usages humains de fraternité et de convivialité.
Ces gens-là sont dangereux parce qu’ils tombent dans l’excès.