15 juin 2020
L’inquiétante disparition des insectes
Près de 90% des espèces de plantes à fleurs et 75% des espèces de plantes cultivées doivent être pollinisées par les animaux, principalement les insectes.
Près de 90% des espèces de plantes à fleurs et 75% des espèces de plantes cultivées doivent être pollinisées par les animaux, principalement les insectes. Or, les chiffres sont alarmants : les insectes sont en voie de disparition dans le monde entier. Les scientifiques n’en connaissent pas encore la cause réelle, mais beaucoup d’entre eux penchent pour un effet du réchauffement climatique, assorti du cocktail destructeur des néonicotinoïdes et autres insecticides. Si nous ne voulons pas que la vie sur Terre s’arrête, nous devons prendre des mesures pour sauver les insectes. De toute urgence.
L’Anthropocène, ou le déclin des insectes
L’une des plus belles scènes de Sur la route, l’immense roman de Jack Kerouac, chantre de la beat generation, se trouve à la fin du livre, lorsque les compagnons de route passent la frontière mexicaine en voiture pour se jeter à corps perdu sur Mexico. Ils sont assaillis par tant et tant d’insectes au cours de la nuit, que le narrateur finit par s’y abandonner et s’en laisser recouvrir comme une seconde peau. A l’aube, écrit-il “on a fait le plein pendant que les derniers insectes de la jungle-en-nuit se précipitaient, nuée noire, contre les ampoules et tombaient à nos pieds dans un battement d’ailes et un grouillement de pattes ; il y avait des insectes aquatiques avec des ailes de dix centimètres d’envergure, des libellules monstrueuses, qui vous auraient bouffé un oiseau, sans compter des milliers de moustiques énormes, et une grande variété d’arachnides innommables.” C’était à la fin des années 1940, et l’on doute qu’une telle scène puisse encore être écrite de nos jours. Parce que d’un bout du monde à l’autre, les insectes ont presque disparu.
Les scientifiques ont donné le nom d’Anthropocène à l’ère présente, définie par l’impact de l’homme sur la planète Terre. Est-ce sa faute si disparaît sous ses yeux le spectacle fascinant qu’il a étudié et décrit avec toute la force de son intelligence ?
Quoi qu’il en soit, le constat est terrible : alors même que les polyphages, le plus grand sous-ordre de coléoptères, n’avait jamais disparu au cours de son évolution, et même lors de l’extinction de masse de la fin du Crétacé, il y a 66 millions d’années, il est aujourd’hui menacé. On estime que les insectes étaient présents sur Terre il y a 400 millions d’années, soit tout simplement 200 millions d’années avant l’apparition des premiers dinosaures. Et ils disparaîtraient sous nos yeux ? Ce ne serait pas la première espèce animale que nous verrions s’éteindre, mais s’il n’y avait plus d’insecte, la vie sur Terre serait très gravement menacée.
La mystérieuse disparition des insectes
A vrai dire, les scientifiques ne savent pas nommer le pourquoi du comment, et c’est ce qui les effraie. Les insectes disparaissent à grande vitesse, certes, mais la raison n’en est pas connue. On avance bien entendu l’usage des pesticides et de tous les produits chimiques utilisés depuis plus d’un demi-siècle pour accroître les rendements agricoles. Toutefois, même dans les zones du monde les plus reculées, et les plus éloignées de toute activité agricole ou même humaine, les insectes disparaissent. Alors, d’autres émettent l’hypothèse d’un changement climatique trop rapide pour que les insectes puissent s’y habituer. Et le morcellement des espaces naturels y est sûrement pour quelque chose. Malgré toutes ces hypothèses, le mystère demeure - et une certaine peur. Car en quelques décennies, d’immenses populations d’insectes se sont éteintes, menaçant toute vie sur Terre.
Une disparition tragique
A la fin des années 1980, la société entomologique de Krefeld, en Allemagne, souhaitait étudier l’état de santé des insectes dans différents types d’habitats protégés en Allemagne. Ils mirent donc en place des pièges pour attraper mouches, guêpes, abeilles, papillons, phalènes… Pendant vingt ans, ils ont rempli des bouteilles de ces insectes piégés. Lorsqu’ils ont entrepris de nouveaux prélèvements en 2013, la masse des insectes piégés ne représentait plus qu’une toute petite partie de celle qu’ils avaient prise vingt-quatre ans auparavant. Tous les prélèvements qu’ils ont effectués et comparés par la suite ont donné les mêmes résultats, si bien que leur analyse a confirmé la diminution de la biomasse des insectes volants dans les aires protégées d’Allemagne, de l’ordre de 76% entre 1989 et 2016. Leurs résultats publiés dans une revue scientifique ont attiré l’attention des entomologistes du monde entier, qui ont déploré des pertes semblables, voire parfois plus graves. Dans une forêt protégée du New Hampshire, des chercheurs ont constaté une diminution du nombre de coléoptères de plus de 80% depuis le milieu des années 1970, tandis que la diversité des insectes s’est réduite de 40%. Une étude menée aux Pays-Bas révèle que le nombre de papillons a baissé de 85% depuis la fin du XIXe siècle… Ainsi de suite, sur tous les continents.
Les insectes sont les créatures les plus variées de la planète
Il existe une telle variété d’insectes que les scientifiques en sont toujours à conjecturer combien de sortes il peut en exister. Aujourd’hui, près d’un million d’espèces d’insectes a été nommé mais on estime que quatre fois plus d’insectes resteraient à découvrir. S’ils ne disparaissent pas d’ici à ce que nous y parvenions...
Plus de 350 000 espèces de coléoptères sont répertoriées dans le monde. La famille des Ichneumonidae, des guêpes parasitoïdes, comprend à elle seule 100 000 espèces, c’est-à-dire plus que toutes les espèces connues de poissons, reptiles, mammifères, amphibiens et oiseaux réunies. Aucun ordre animal au monde ne peut prétendre à une telle diversité. Il existerait plus de 1000 fois plus d'espèces d’insectes que de mammifères. Les insectes, aussi divers soient-ils, ont tous trois particularités à l’âge adulte : six pattes, un corps en trois segments et un exosquelette rigide.
Le rôle des insectes dans la biodiversité
Les services rendus par les insectes aux sociétés humaines sont difficiles à quantifier. Mais en 2006, deux entomologistes ont estimé que leurs services rendus équivaudraient à 57 milliards de dollars par an, pour les seuls Etats-Unis. Les services qu’ils rendent à la nature, par conséquent à l’homme, peuvent être ainsi résumés : enfouissement des excréments, lutte contre les parasites, pollinisation de la flore et nutrition de la faune. Outre leur rôle de butineur, dont l’abeille est l’emblème mais non pas l’unique, (un bourdon peut visiter et polliniser 3000 fleurs par jour), les insectes ont également un rôle important dans la diffusion des semences. Pensons aux fourmis, par exemple, qui transportent des multitudes de graines dont elles ne mangent que l’appendice, laissant le reste germer.
Mais les insectes servent aussi de nourriture à un très grand nombre d’animaux : oiseaux, chauve-souris, poissons d’eau douce, batraciens… dont nous déplorons la disparition, et pour cause ! Enfin, sans l’aide des insectes, la matière mettrait beaucoup plus de temps à se décomposer. Dans les forêts, les insectes xylophages et saproxylophages jouent un rôle essentiel dans la destruction du bois mort et la formation de l’humus où une grande partie du carbone de l’air est stocké. Les termites se nourrissent de bois, les bousiers d’excréments. Mais les termites creusent aussi des galeries souterraines qui aident à l’aération des sols. Une colonie de termites peut ainsi creuser plus de 250 kg de terre chaque année, tandis qu’avec l’aide des bousiers, qui libèrent les nutriments qui se trouvent dans les excréments, les charognes et les plantes mortes, les excréments du bétail sont décomposés en 23 mois, alors qu’il en faudrait 28 sans eux. Ce n’est pas compliqué, sans l’aide des insectes, la Terre serait un couffin de matières mortes accumulées.
Comment sauver les insectes ?
Si nous ne savons pas comment ni pourquoi les insectes disparaissent si vite, il paraît difficile de les sauver. Nous avons néanmoins quelques pistes. Le rôle des insectes dans la biodiversité est évident, mais il l’est également dans l’agriculture, or, nous les en avons bien trop souvent chassés. Les insecticides dédiés aux nuisibles ne font pas la part des choses et tuent toutes sortes d’insectes. Pour se prémunir des pucerons, on pulvérise des produits chimiques. Pourtant coccinelles, punaises ou demoiselles se régalent de pucerons. Ces dernières peuvent en manger un million par jour sur 4000 m2 de terre cultivée. Il suffit de laisser la nature faire son oeuvre, et avec un peu de patience elle rétablit l’équilibre.
Pour endiguer la disparition des insectes, il convient donc premièrement de réduire drastiquement l’usage des pesticides. L’Union européenne a d’ores et déjà interdit la plupart des pesticides à base de néonicotinoïdes, qui tuent oiseaux et insectes. Deuxièmement, il convient de rétablir leurs habitats, ce à quoi s’est déjà attaqué le gouvernement allemand dans le cadre de son “programme d’action pour la protection des insectes”. Pour ce faire, il interdit notamment le glyphosate dans certaines zones, car l’herbicide tue des plantes essentielles aux insectes et perturbe leur système immunitaire. N’oublions pas que, chaque fois que nous nous nous attaquons à un élément naturel, nous détruisons le garde-manger ou l’habitat d’un certain nombre d’insectes, animaux ou micro-organismes qui ont aussi leur place au sein de l’écosystème terrestre. Enfin, la troisième manière de stopper la disparition des insectes est de ralentir le réchauffement climatique auquel les insectes ne parviennent pas à s’adapter. Cela, nous savons comment faire : nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre, planter des arbres et entretenir des forêts, réduire notre pollution et notre impact carbone, adopter un mode de consommation vertueux, sobre et responsable. C’est au prix de ces efforts que nous pourrons sauver tous ces petits êtres qui nous paraissent laids, rebutants mais qui sont fascinants, surprenants et sans lesquels nous ne pourrions pas vivre.