27 nov. 2024
Quelle est la capacité des forêts européennes à être des puits de carbone ?
Si la superficie forestière continue de croître en Europe, la capacité des forêts à être des puits de carbone diminue, notamment à cause du réchauffement climatique.
Puits de carbone naturels et réservoirs de biodiversité, les forêts européennes jouent un rôle crucial dans la régulation du climat et la préservation de la diversité biologique. Depuis un siècle, elles sont globalement en expansion, bien que l’on constate de grands écarts entre la superficie boisée de la Suède et celle de l’Irlande par exemple, et de grandes disparités de peuplements. Toutefois, une grande partie des forêts européennes souffre aujourd’hui des effets du réchauffement climatique, combiné à des mesures de gestion pas toujours heureuses, et toutes pourraient pareillement souffrir si les bonnes mesures ne sont pas prises dès maintenant.
Voici quelques éléments comparatifs des superficies forestières, de la capacité de stockage du CO₂, de la diversité des essences et de la mortalité des arbres dans plusieurs pays européens. Ainsi que quelques pistes pour améliorer les choses.
Quelle est la superficie forestière des pays d’Europe ?
Les superficies forestières varient considérablement d'un pays à l'autre en Europe. Voici une courbre comparative des superficies forestières en 2021 :
La forêt occupe 32% du territoire de la France
Selon le dernier inventaire forestier de l’IGN, la superficie boisée de la France métropolitaine (Corse incluse) continue de croître. Elle est de 17 479 000 ha, ce qui représente 32% du territoire hexagonal. C’est ainsi le type d’occupation du sol le plus important après l’agriculture, qui couvre plus de la moitié de la France. 95% des forêts (soit 16,6 millions d’hectares) sont disponibles pour la production de bois.
Rappel : une forêt est définie comme un territoire occupant une superficie d’au moins 50 ares (5 000 m2) avec des arbres pouvant atteindre une hauteur supérieure à 5 mètres à maturité in situ, un couvert boisé de plus de 10 % et une largeur moyenne d’au moins 20 mètres. La forêt n’inclut pas les terrains boisés dont l’utilisation prédominante du sol est agricole ou urbaine.
Toujours d’après l’inventaire forestier de l’IGN, “la forêt couvre 32 % du territoire. Il y a un siècle, en 1908, le taux de boisement s’élevait à 19 %. Ces moyennes masquent néanmoins de fortes différences départementales. Aujourd’hui, quatre départements (dix-huit en 1908) ont un taux de boisement inférieur à 10 % : la Manche, la Vendée, la Mayenne et les Deux-Sèvres. Sept départements (aucun en 1908) ont un taux de boisement supérieur ou égal à 60 %.”
La forêt occupe 70% du territoire de la Suède
Par comparaison, ce sont 70% du territoire de la Suède qui sont couverts de forêts, faisant de ce pays l’un des plus boisés d’Europe, avec la Finlande. Les forêts couvrent ainsi 28 millions d’hectares de ce pays scandinave. Mais beaucoup dénoncent ces dernières années une surexploitation de la forêt suédoise où la diversité des essences est de moins en moins présente et les coupes rases monnaie courante. En effet, la Suède n’a pas changé son modèle de sylviculture intensive développé après la seconde guerre mondiale, qui se fonde sur des rotations courtes de forêts équiennes rasées à blanc avant d’être replantées.
Par ailleurs, à partir des années 1960, les feuillus ont été très largement éliminés des forêts suédoises à coups de pesticides pour privilégier la culture de forêts résineuses plus productives.
Mais la balance a été inversée depuis les années 1990 pour favoriser de nouveau la biodiversité et obliger à épargner au moins 5% de forêts lors des coupes rases. Les forêts restent toutefois très jeunes et très largement dominées par la monoculture, au détriment des forêts primaires dont il ne reste plus grand-chose. La Suède produit ainsi beaucoup de pâte à papier avec ses forêts exploitées de façon industrielle. Ainsi, en 2010, la Suède produisait à elle seule 4% du papier mondial avec seulement 1% de la forêt mondiale.
Thisted, Danemark
Moins de 15% du territoire du Danemark est boisé
De même que l’Irlande et les Pays-Bas, le royaume du Danemark est un pays européen assez peu boisé. Sa superficie forestière est d’un peu plus de 640 000 hectares, soit 14,9% de son territoire. 35% de ses forêts sont des forêts de conifères, contre 44% de feuillus et 11% de forêts mixtes. Les boisements de conifères ont eu du succès dans ce royaume scandinave où ils résistent mieux que les feuillus aux dures conditions climatiques et aux sols pauvres (terrains venteux, dunes ou zones inondables) et parce qu’ils offrent un rendement plus rapide aux propriétaires forestiers. La région du Jutland est ainsi principalement boisée de conifères.
Néanmoins, les feuillus (chênes, hêtres…) sont les essences indigènes du Danemark, alors que les résineux y ont été largement importés depuis le XVIIIe siècle. L’épicéa de Norvège, par exemple, devenu très populaire au Danemark, y a été importé des pays voisins tels que la Suède et l’Allemagne, tandis que l’épicéa de Sitka et le sapin de Douglas proviennent d’Amérique du Nord.
La répartition forestière n’est pas égale au Danemark, où plus de 17% de la région capitale, qui inclut les parties septentrionales de la Zealand et de Bornholm, sont boisées, tandis que la région sud du Danemark n’est boisée qu’à 11%.
Historiquement, la Danemark était un pays très boisé dont l’agriculture a eu raison jusqu’à réduire la superficie forestière du pays à moins de 3% au début du XIXe siècle. Depuis 1805, la déforestation est interdite dans le pays, si bien que la superficie a pu croître et continue de s’étendre.
31% de la surface de l’Allemagne est boisée
Selon les données les plus récentes, les forêts allemandes couvrent environ 11,1 millions d’hectares, soit environ 31% de la surface totale du pays.
Mais le changement climatique a un impact significatif sur l’industrie allemande du bois et sur la croissance des forêts. En effet, celles-ci deviennent plus vulnérables aux ravageurs, aux sécheresses et aux incendies. Elles sont ainsi moins productives et le coût de la récolte du bois augmente. Le changement climatique entraîne par ailleurs une augmentation du déboisement alors que le bois de chauffage répond à un besoin croissant de la population. Tout cela contribue à une diminution de la qualité et de la quantité des ressources en bois de l’Allemagne.
“Malgré la rapidité de la mortalité des arbres existants, la forêt allemande est en effet en pleine mutation, avec des actions ciblées de diversification des espèces. Depuis 2012, les surfaces boisées ont augmenté de 15 000 hectares et les forêts dites mixtes, de feuillus et de conifères, de 3 %”, lit-on dans un article de La Croix du 22 octobre 2024.
Schleswig, Allemagne
La forêt couvre 23% de la Belgique
“La forêt belge occupe, au total, 23 % du territoire et représente 0,3 % des forêts d’Europe (contre 14 % pour l’Espagne et 9 % pour la France). Bien que cette surface soit relativement faible à l’échelle du monde et de l’Europe, la Belgique produit durablement avec un taux de récolte de 98 %, c'est-à-dire qu’elle exploite moins de bois que sa capacité de régénération”, selon les chiffres de 2019 donnés par e-for-own et Erasmus +, projet coordonné par le CNPF qui s’est appuyé, en Belgique, sur la Société royale forestière de Belgique.
Dans le royaume, une majorité des surfaces boisées est localisée en Wallonie dont la superficie est plus importante et la densité de population plus faible que dans les Flandres.
Bien que le peuplement climacique (relatif à une formation végétale stable qui se situe en position finale d'une série successive au sein d'un site donné, ou en état de climax) de la Wallonie soit la hêtraie acidophile, les peuplements de résineux (épicéas et Douglas essentiellement) représentent aujourd’hui 43% de la surface forestière.
Le Portugal est le seul pays européen où la superficie forestière a diminué
La forêt couvre 40% du territoire du Portugal
Le Portugal a fait de gros efforts pour reboiser son territoire. Cela n’est toutefois pas sans créer de tensions et poser de questions, attendu qu’un quart de sa superficie forestière (et 10% du pays) est recouverte d’eucalyptus, originaires d’Australie, dont la pulpe est utilisée pour produire du papier toilette, de la pâte à papier et du plastique alternatif pour toute l’Europe.
Sous la pression populaire et celle des incendies qui ravagent régulièrement de grands pans de forêt, le pays s’attelle à diversifier ses plantations, mais la difficulté est avant tout économique, alors que les produits à base d’eucalyptus représentent 1% du PIB du Portugal. L’ancienne Lusitanie est également célèbre pour ses forêts de chênes-lièges, les plus vastes d’Europe, et pour sa production de bouchons en liège pour le vin. L’arbousier est également une essence courante au Portugal, dont les fruits sont utilisés pour la production de liqueur.
Enfin, le Portugal est le seul pays européen où la superficie des forêts a diminué entre 1990 et 2020 (-3%).
36,5% du territoire italien est couvert de forêts
Selon le quotidien Il sole 24 ore cité par Courrier international, “les bois italiens ont augmenté leur superficie de 72 % entre 1936 et 2015”. C’est ainsi que pour chacun des 60 millions d’Italiens existent 200 arbres. Si la croissance des forêts est commune à toute l’Europe, la spécificité de l’Italie est un taux de prélèvement des arbres très bas (deux à trois fois moindre que la moyenne européenne). Les forêts couvrent ainsi 11 millions d’hectares en Italie.
Les forêts représentent 37% du territoire national espagnol
L’Espagne a la troisième plus importante surface forestière de l’Union européenne avec 18,6 millions d’hectares et celle-ci a cru de 34% entre 1990 et 2020. Cela représente environ 37% du territoire espagnol.
10% des Pays-Bas sont recouverts de forêts
La couverture forestière des Pays-Bas est d’un peu moins de 400 000 hectares, soit environ 10% de la surface du pays. Les vastes forêts vierges qui couvraient une grande superficie du pays ont peu à peu disparu au profit de terres arables vouées à l’agriculture et à l’élevage. Mais, à partir du XIXe siècle, la population a éprouvé la nécessité de reboiser le pays, et au cours du XXe siècle, les Pays-Bas se sont tournés vers quelques essences propres à une production de bois rentable : pin sylvestre, épicéa de Norvège… plantés en forêts équiennes. Depuis les années 1980, une plus grande diversité de peuplements et d’âges a été privilégiée. Néanmoins, “les forêts néerlandaises sont confrontées à divers défis, tels que l'acidification due aux précipitations d'azote, le dessèchement dû à l'extraction de l'eau et l'impact du changement climatique. Les ravageurs et les maladies, comme le dépérissement des frênes et l’émergence de nouveaux insectes nuisibles, menacent également la santé des forêts.”
La forêt roumaine couvre environ 27 % de la superficie du territoire
Fait rare en Europe, la Roumanie a su préserver des forêts primaires. Avec ses 6 515 000 ha de forêts, la Roumanie se classe à la huitième position de l’Union européenne. Au sein de cette belle superficie, 400 000 hectares (soit la surface forestière des Pays-Bas) sont considérés comme de la forêt vierge ou sauvage et sont essentiellement situés dans les Carpates. On y trouve encore des ours bruns, des loups et des lynx.
Le hêtre est l’essence principale en Roumanie et couvre, à lui seul, 31% des surfaces boisées. L’épicéa représente 23% de la surface boisée, le chêne 18%, le sapin 5% et les autres résineux 3%. Des feuillus tels que l’acacia, le charme, le frêne, le tilleul, le platane d’Amérique, le saule… occupent 20% de la surface boisée.
Le couvert forestier représente 11% de la superficie de l’Irlande
Au néolithique, les forêts couvraient 60% de la surface de l’Irlande, contre seulement 1% à la fin du XVIe siècle. Cela, à cause du développement de l’agriculture. Depuis le début du XXe siècle, l’Irlande a toutefois développé une politique de reboisement, “avec la plantation de conifères nord-américains sur les terres impropres à l'agriculture, puis, dans les années 1980, l'Union européenne a commencé à verser des subventions aux propriétaires privés pour les inciter à planter davantage de feuillus sur des terres de meilleure qualité.” Si le couvert forestier de l’Irlande est aujourd’hui de 11%, il demeure le plus faible de l’Europe, mais le gouvernement soutient son extension. Et une nouvelle norme doit permettre aux forêts d’être plus durablement gérées en favorisant la diversité des peuplements, alors que l’épicéa de Sitka couvre, à lui seul, 9% de la surface boisée de l’île.
Par comparaison, la couverture forestière de l’Irlande du Nord n’est que de 8%.
19% de l’Ecosse est couverte de forêts
Sans l’entreprise de déforestation initiée il y a 6000 ans par les hommes, l’Ecosse serait aujourd’hui très largement recouverte de forêts. Forêts de pins et de bouleaux au nord et à l’est du pays, bois de chênes sur la côte ouest plus chaude. Mais au début du XXe siècle, en Ecosse, comme dans le reste du Royaume-Uni, les forêts ne couvraient plus que 5% du territoire. Dès après la première guerre mondiale, ce problème a été pris à bras-le-corps et des forêts ont été replantées, essentiellement dans un objectif de production de bois en mélangeant des essences du monde entier, adaptées aux conditions climatiques et pédologiques locales. Au cours des années 1990, les forestiers ont pris conscience qu’il fallait adopter une approche sylvicole plus durable.
En un siècle, la surface forestière de l’Ecosse est passée de 5 à 18,5%, ce qui reste bien en-deçà de la moyenne européenne (43%) mais supérieur à la moyenne du Royaume-Uni. La superficie forestière de l’Ecosse est ainsi de 1,4 million d’hectares.
© Statista - Proportion du Royaume-Uni couvert de forêt par rapport à la superficie totale entre 2008 et 2021
En Angleterre, la forêt occupe 10 % de la superficie du territoire
Le Royaume-Uni a l’un des taux de boisement les plus bas d’Europe (13%), et la Grande-Bretagne n’est, elle, boisée que sur 10% de son territoire, contre 15% au Pays-de-Galles, par exemple.
On note néanmoins une croissance de la surface forestière dans tout le Royaume-Uni. Ainsi, depuis l’adoption du Sustainable Development Goals en 2015, la surface forestière avait cru de 2,4% au 31 mars 2022.
En 2023, les écosystèmes forestiers européens ont perdu 20% de leur capacité à stocker du carbone
Quelle est la capacité de stockage du CO₂ par les forêts d’Europe ?
Les forêts sont le deuxième puits de carbone terrestre, mais leur capacité à absorber le CO₂ varie selon les pays et est influencée par différents facteurs tels que la gestion forestière, la santé des forêts et les conditions climatiques.
Le réchauffement climatique, avec les sécheresses, les épidémies et les tempêtes qu’il provoque, a un effet négatif sur la capacité des forêts européennes à stocker le carbone. C’est ainsi qu’en 2023, les écosystèmes forestiers européens ont perdu 20% de leur capacité à stocker du carbone. Ce, en dépit de la croissance générale des forêts et donc, essentiellement en raison d’une baisse de la croissance des arbres et d’une hausse de leur mortalité liées aux sécheresses, aux incendies et aux ravageurs.
En réalité, le problème dépasse l’Europe. Les scientifiques ont ainsi noté que depuis 2015, l’absorption de CO2 au nord du 20e parallèle nord avait diminué de moitié.
Diminution du stock de carbone de l’Utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie (UTCATF)
L’Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie (UTCATF), dont l’acronyme anglais LULUCF est aussi employé pour Land use, land-use change, and forestry, est une nomenclature utilisée dans les inventaires sectoriels d'émissions de gaz à effet de serre qui regroupe les émissions et les absorptions de ces gaz découlant directement des activités humaines liées à l'utilisation des terres, leurs changements d'affectation et à la forêt.
Cette comptabilisation permet d'évaluer les flux entrant ou sortant des différents réservoirs de carbone, définis ainsi par le GIEC : la biomasse vivante aérienne, la biomasse vivante souterraine, le bois mort, la litière, la matière organique du sol, les produits bois.
Ainsi, lorsque les absorptions de CO2 sont supérieures aux émissions, on parle d'émissions négatives et on dit que le secteur UTCATF constitue un puits de carbone.
En 2030, nous n’atteindrons vraisemblablement que 224 MtCO2e
Selon l’Agence européenne de l’environnement, l’UTCATF a soustrait 236 millions de tonnes de CO2 équivalent (MtCO2e) de l'atmosphère en 2022, ce qui correspond à 7% des émissions annuelles de l’UE, et 257 MtCO2e (estimées) en 2023.
L’UE avait d’abord estimé la capacité de ce puits de carbone à croître de 42 MtCO2e d’ici à 2030. Mais les derniers résultats montrent que ce ne sera pas le cas, car ces mesures étaient fondées sur l’absorption moyenne de 2016 à 2018. Or, au cours des dix dernières années, la capacité de puits de carbone des écosystèmes terrestres européens a diminué, principalement à cause d’un accroissement du prélèvement des arbres et d’une moindre capacité des forêts à séquestrer le carbone.
Les désastres naturels (tempêtes, sécheresses, feux de forêt) causent non seulement des variations annuelles dans la capacité des forêts à séquestrer le CO2, mais leur fréquence de plus en plus répétée obère également leur possibilité d’accroître leur fonction de puits de carbone. Les Etats membres estiment dès lors que, d’une capacité moyenne de 315 MtCO2e au cours des années 1990 à 2021, les puits de carbone terrestres devraient chuter à 206 MtCO2e annuels en Union européenne pour la période 2022-2050. A l’horizon 2030, les projections étaient de 240 MtCO2e, alors que nous n’atteindrons vraisemblablement que 224 MtCO2e.
Source : National emissions reported to the UNFCCC and to the EU under the Governance Regulation, April 2024, European Environment Agency (EEA)
Diminution de la capacité des forêts à stocker le carbone en France
Le puits de carbone forestier français a, lui, diminué de 50 % au cours des dernières années, principalement en raison de la mortalité accrue des arbres et de la diminution de leur croissance, liées aux sécheresses, aux incendies et aux ravageurs.
Si la France est le deuxième pays émetteur de GES dans l'Union européenne (386 tCO2eq. en 2023), elle se classe en vingt-quatrième position pour ce qui est de ses émissions par habitant (5,8 tCO2eq/hab.), sous la moyenne de l’UE qui est à 7,3.tCO2eq/hab. Mais il s’agit là uniquement des émissions sur le territoire.
L'empreinte carbone des Français est de 9,2 tCO2eq/hab
Si l’on prend en compte toutes les émissions, même celles des produits importés, i.e. l’empreinte carbone des Français, nous arrivons à une moyenne de 9,2 tCO2eq/hab. Toutefois, note l’IGN, “si le stock de carbone continue à augmenter, on observe depuis quelques années un ralentissement de la dynamique d’absorption du CO₂ par les forêts françaises. Sur la période 2014-2022, les forêts métropolitaines ont absorbé 39 millions de tonnes de CO₂ par an en moyenne, tandis qu’elles en absorbaient 63 millions de tonnes de CO₂ par an au cours de la période 2005-2013.”
Ainsi, moins de 40 tonnes de CO2 eq. ont été séquestrées par les forêts françaises en 2023 contre 386 émises par les Français. Force est de constater que la balance est largement déséquilibrée.
Diminution d’autres puits de carbone européens
La diminution du puits de carbone forestier hexagonal n’est hélas pas une exception en Europe. Un article du Guardian note que l’Allemagne, la République tchèque et la Suède ont, comme la France, connu un déclin significatif de leur capacité d’absorption du carbone par les forêts, à cause de l’épidémie de scolytes typographes, des sécheresses et, par conséquent, de l’augmentation de la mortalité des arbres.
En Suède par exemple, de nombreux signaux sont au rouge : en plus de ses objectifs en matière de protection de la biodiversité que la Suède va avoir du mal à atteindre, l’Agence nationale de protection de l’environnement a constaté, fin septembre 2022, que les forêts suédoises n’avaient absorbé que 25 millions de tonnes de CO2 en 2021, contre 30 millions l’année précédente. Si les scientifiques cherchent encore des explications, la hausse des volumes de production est déjà pointée du doigt. Par ailleurs, la succession d’étés chauds et secs est jugée responsable des attaques de scolytes, de petits coléoptères qui ont fait de gros dégâts sur les sapins.
Les forêts allemandes rejettent plus de CO2 qu’elles n’en absorbent
En Allemagne, le gouvernement a tiré la sonnette d’alarme. L’inventaire décennal qu’il a publié en octobre 2024 montre que, “pour la première fois, les forêts allemandes rejettent plus de CO2 qu’elles n’en absorbent, du fait de la crise climatique et de ses conséquences.”
C’est ainsi que le ministre des forêts estime “à 41,5 millions de tonnes la diminution du stock de carbone dans la forêt depuis 2017.”
La crise climatique pousse les écosystèmes forestiers dans un cercle vicieux : les sécheresses exceptionnelles et les tempêtes fragilisant les arbres, ils deviennent moins résistants aux parasites. Ils absorbent donc moins d’eau, accélérant la sécheresse des sols. Et une fois morts, s’ils optimisent le développement d’un nouvel écosystème, ils rejettent davantage de CO2 dans l’atmosphère.
Quelles sont les solutions pour remédier à la diminution des puits de carbone terrestres ?
Il n’existe aucune solution magique pour remédier à la diminution de la capacité de séquestration du carbone par nos forêts. Voici néanmoins quelques pistes dont toutes devraient être empruntées en même temps, sachant que le temps nous est compté pour tenter d’enrayer les dérèglements climatiques et leurs boucles de rétroaction positives.
Diminuer nos émissions de GES et notre empreinte carbone
La capacité des forêts et des terres (prairies, champs, zones humides, friches…) à séquestrer durablement du carbone n’est pas qu’affaire de sylviculteurs, d'agriculteurs, de paysans et de forestiers. En effet, si les écosystèmes terrestres vont mal, nous en sommes collectivement responsables. Les forêts souffrent du réchauffement climatique brutal dont les émissions anthropiques sont largement responsables. En diminuant notre empreinte carbone (nos émissions directes et indirectes, induites par nos achats et notre façon de consommer), nous pouvons donc agir positivement sur le climat, par conséquent sur les écosystèmes naturels.
Soutenir les initiatives locales et durables de restauration de la nature
Une fois que nous avons pris conscience de notre capacité à agir sur le monde qui nous entoure, et donc commencé à réduire et éviter au maximum nos émissions de GES, nous pouvons soutenir des initiatives locales et durables de restauration de la nature. C’est par exemple ce que fait EcoTree en restaurant des écosystèmes endommagés pour leur permettre d’être plus résilients face aux dérèglements climatiques et de séquestrer davantage de carbone. Ces écosystèmes peuvent être des forêts dégradées à la suite d’incendies, de tempêtes, d’épidémies de scolytes, de coupes rases intempestives. Ce peuvent également être des zones humides à restaurer ou des terres en friche à boiser, capables de capter davantage de CO2, donc de créer de nouveaux puits de carbone riches en biodiversité.
Privilégier une sylviculture mélangée à couvert continu
Les forestiers, de leur côté, ont tout intérêt à privilégier une sylviculture mélangée à couvert continu telle que la promet l’association européenne ProSilva dont les principes tiennent en quelques mots : mélanger les essences d’arbres (pour une meilleure résilience de l’écosystème et une plus grande diversité biologique), mélanger les classes d’âges et ainsi ne prélever que les arbres arrivés à maturité en ayant soin de ne jamais créer de perturbation majeure au sein de l’écosystème, et en assurant la continuité de la vie.
Anticiper le réchauffement climatique et soutenir la résilience des forêts
Les forestiers, de même, peuvent anticiper les modifications climatiques à venir en favorisant et/ou plantant des essences d’arbres plus résistantes à des conditions climatiques chaudes et brutales. Car, s’il est difficile de dire précisément quel sera le climat sous telle ou telle latitude et dans telle région d’ici à 20, 30 ou 50 ans, tout concourt à montrer que le climat sera plus chaud, donc les pluies plus fortes et sans doute moins régulières. C’est ainsi que certaines essences d’arbres de plaine seront adaptées aux montagnes et des essences méditerranéennes à des régions plus septentrionales de l’Europe.
La plupart des forestiers et scientifiques qui travaillent sur ces sujets en sont au stade expérimental, mais ces expériences restent importantes, et la plus sûre façon de parvenir à faire quelque chose de bien est d’essayer.
De la même façon, nous constatons que les plantations en monoculture qui ont prévalu en Europe après guerre (épicéas, par exemple) sont très fragilisées aujourd’hui et particulièrement sensibles aux modifications climatiques et aux épidémies qui en découlent. Il est donc nécessaire de mélanger les essences d’arbres et les classes d’âge pour permettre aux écosystèmes de gagner en résilience.
Diminuer la pression de l’industrie sylvicole
Enfin, le constat fait à l’échelle européenne est que la pression exercée par l’industrie sur les coupes de bois a un effet négatif sur la capacité des forêts européennes à être des puits de carbone efficaces. Bien que les filières sylvicoles des différents pays européens ne soient pas comparables, chaque Etat gagnera à protéger ses forêts de toute surexploitation ou de toute exploitation intensive.
Le temps des forêts est long et doit être respecté. Il apparaît donc que l’exploitation industrielle forcenée des forêts afin de remplacer d’autres sources d’énergie (comme en Allemagne) ou pour répondre à la demande mondiale de biens de consommation (comme au Portugal ou en Suède) ne soit pas une bonne stratégie, à moyen et long terme.
En prenant en compte ces différents éléments, nous avons encore la capacité, à l’échelle européenne, d’influer positivement sur le cours des choses et de valoriser la nature pour qu’elle nous permette de vivre longtemps en bonne santé.