21 mars 2023
Résilience des forêts : comment la favoriser ?
Issue d’un principe mécanique, la résilience biologique se définit comme la façon dont un écosystème retrouve son régime écologique à la suite d’une perturbation.
La résilience est un concept devenu commun. Trop commun, peut-être, pour que l’on comprenne encore de quoi il retourne précisément. Nous avons ainsi tâché, avec l’aide du forestier et scientifique Arnaud De Grave, d’éclaircir la forêt pleine de broussailles d’une notion scientifique qui finit par étouffer sous la polysémie que lui attribuent les sciences sociales. Afin de déterminer de quelle manière nous pouvons, comme forestiers, mener des actions à même de favoriser la résilience des écosystèmes naturels ; partant, d’agir positivement sur le climat et la biodiversité.
Résilience : aux origines d’une notion scientifique
Comment les lexicographes définissent-ils la résilience ?
Avant d'être attribuée à un état psychologique ou écologique, la résilience a été un concept défini par la mécanique. Ce n’est que plus tard qu’il a été adapté à la biologie et la psychologie.
L’édition 1940 du Nouveau petit Larousse illustré en donne la définition suivante : “du latin resilire, rebondir. Énergie absorbée pour la rupture par choc d’un matériau.”
L’édition 2003 du Nouveau Petit Robert lui ajoute : “Psychologie. Capacité à vivre, à se développer, en surmontant les chocs traumatiques, l’adversité. Facteurs, tuteurs de résilience.”
Le Larousse en ligne ajoute cela : “Écologie. Capacité d'un écosystème, d'un biotope ou d'un groupe d'individus (population, espèce) à se rétablir après une perturbation extérieure (incendie, tempête, défrichement, etc.).”
Un concept de science mécanique…
Ainsi, comme l’explique Arnaud De Grave, le principe de la résilience vient de la mécanique. Il s’agit d’un test effectué sur un matériau, afin de savoir s’il casse sous une certaine contrainte vive (un choc) ou s'il se déforme pour revenir ou non à son état originel, par la suite. On appelle cela la plasticité (déformation permanente) et l'élasticité (capacité de retour à l’état initial). En résistance des matériaux, l’opposé de la ductilité est la fragilité.
…adapté à la biologie
En écologie ou biologie, il en va à peu près de même. Ce que l’on cherche à définir par la capacité de résilience d’un écosystème est sa possibilité de rebondir ou de connaître un changement majeur par-delà une perturbation subie. L’écosystème reviendra-t-il à son état d’origine après avoir subi une perturbation X ou Y ?
Adapter un concept mécanique à des organismes vivants entraîne toutefois de nouvelles questions : un écosystème est-il un état figé ? A priori non. Alors comment peut-on parler de retour à un état initial ou un état d’origine sachant que celui-ci est en constant mouvement ? On en revient peu ou prou au débat présocratique opposant Parménide à Héraclite : en dépit des apparences, la forêt que l’on voit est-elle la même aujourd’hui qu’hier ; la rivière dans laquelle je me baigne est-elle la même aujourd’hui qu’hier si ce n’est pas la même eau qui coule ?
Pour répondre à ces interrogations, les scientifiques ont établi que pour considérer qu’un écosystème soit revenu à son état d’origine, il faut qu’il ait retrouvé, avec les populations vivantes, des interactions d’ordre similaire à celles qui préexistaient au choc ou à la perturbation. C’est ainsi que la définition scientifique de la résilience a évolué entre les années 1970 et le début du XXIe siècle. Selon Holling (1973), pour affirmer qu’il y ait résilience, il faut donc que l’écosystème soit revenu à un niveau stable de variables d’état entre les populations. La résilience allie par conséquent une notion de résistance aux perturbations à un temps nécessaire à un retour à l’état stable. Ce sont ces deux critères qui définissent la “résilience dite d’ingénierie” selon Holling.
Au début des années 2000, certains scientifiques se sont engagés dans une vision plus dynamique pour faire cette proposition : sur un même territoire, les écosystèmes peuvent exister selon différents régimes et, lors d’une perturbation, passer de l’un à l’autre. Chacun de ces régimes a sa propre résilience. Il est en effet toujours bon de se poser la question de la résilience de quoi/qui par rapport à quoi. Cette résilience est souvent appelée “résilience écologique”.
La résilience adaptée aux écosystèmes
Afin de mieux comprendre cette notion de résilience, tâchons de l’illustrer. A l’origine, nous avons dans un fond marin des récifs de corail. A la suite de perturbations qui interviennent sur le court et le long terme (changement climatique, pollution industrielle soudaine, changement des politiques de pêche, etc.) le récif de corail est affecté. Il a une capacité d’absorption de ces perturbations qui lui permet, jusqu’à une certaine limite, de retrouver un état similaire (son régime écologique) à celui qui était le sien avant la ou les perturbations. Mais si la pression exercée par celles-ci, alliée aux effets du changement climatique, est trop violente, nous assisterons à un changement de régime. Les coraux seront remplacés par des algues. Celles-ci ont une résilience plus grande, c’est-à-dire qu’elles sont à même de mieux résister aux perturbations extérieures, ainsi les chances d’un changement de régime pour retrouver des coraux sont-elles plus faibles. L’inconvénient de ce nouveau régime est qu’il ne remplit pas les mêmes fonctions qu’auparavant et n’a pas les mêmes rapports aux autres organismes vivants ; il est néanmoins très résilient.
Ainsi, tout dépend de ce que nous espérons d’un écosystème. La résilience est souvent envisagée pour un écosystème particulier par rapport à un objectif fixé par l’Homme. Par conséquent, la résilience d’un écosystème est souvent envisagée à l’aune des services écosystémiques qu’il nous rend. C’est un autre débat !
Quels sont les critères à respecter pour qu’un écosystème soit résilient ?
A présent, nous voulons savoir comment cette théorie de la résilience peut nous permettre d’avoir un impact - si possible positif - sur les écosystèmes naturels qui nous rendent service, créant de l’oxygène, stockant le dioxyde de carbone, enrichissant les sols pour nous nourrir, faisant vivre le plus grand nombre de poissons, etc. Il est très complexe de mesurer la résilience de façon quantitative et donc d‘évaluer l'impact de nos décisions. Pourtant, certaines caractéristiques des écosystèmes sont reconnues pour leur impact qualitatif sur la résilience.
La redondance des fonctions
Un premier critère pour que la résilience soit élevée est la diversité et la redondance des fonctions. Cela signifie que, dans un écosystème, une fonction doit être assurée plusieurs fois par des sujets ou des organismes divers. Par exemple, un écosystème soumis à un éboulis, une avalanche, un incendie ou une inondation sera plus résilient dans sa fonction de prévention des risques associés si sa flore est diverse et à plusieurs échelles : arbres (de différentes essences), arbustes (de différentes essences), plantes (de différentes espèces) etc. De la même façon, la résistance à une épidémie d’agents pathogènes sera supérieure dans un peuplement riche et divers (pour ce qui est des essences, des classes d’âge et de la génétique) que s’il s’agit d’une plantation en monoculture. En effet, on comprend bien que si tous les sujets réagissent de la même façon face à cette perturbation, l’ensemble souffrira. La possibilité de revenir à l’état antérieur à la perturbation est démultipliée par le nombre d’espèces diverses qui n’auront pas toutes été affectées de la même manière par l'événement, et dont certaines se réimplanteront plus rapidement, créant les conditions de possibilité de retour des autres. Et dans certains cas, encore une fois, on pourra assister à un changement de régime.
La connexion des éléments de l’écosystème
Un deuxième critère qui améliore la résilience est que les éléments de l’écosystème restent connectés. Prenons l’exemple d’une population de rongeurs. Tant que leurs milieux de vie restent connectés, ils peuvent se reproduire et se multiplier, se replier vers un autre lieu si l’un est affecté ou trop dégradé. Le jour où ils se retrouvent isolés par des routes, des constructions, etc., la moindre perturbation peut menacer l’ensemble de leur population car leur habitat est fragmenté. Cette résilience-ci est bien sûr envisagée du point de vue du mulot !
Eviter les boucles de rétroaction positive
Un troisième critère est de bien étudier les boucles de rétroaction positive qui viendraient renforcer le phénomène perturbateur pour accroître ses effets négatifs. Une boucle de rétroaction positive se met en place lorsque différents phénomènes dépendants les uns des autres se lient en s’entraînant l’un l’autre pour modifier l’équilibre dynamique des chaînons. Si la perturbation qui enclenche le phénomène est d’origine anthropique, alors il existe sans doute des moyens d’agir à notre échelle.
Il faut ainsi comprendre que la diversité n’est qu’un des éléments de la résilience.
Comment soutenir la résilience des forêts ?
A présent, compte-tenu de ce que nous avons expliqué plus haut, comment pouvons-nous prendre en compte et même, dans la mesure du possible, aider à la résilience des forêts et des écosystèmes naturels ?
Résilience naturelle d’une forêt en climat tempéré
Prenons l’exemple d’un écosystème forestier sous un climat tempéré. Au départ de notre observation, l’écosystème peut être dominé, selon sa station forestière, par un peuplement de sapins et d’épicéas. Un agent perturbateur est introduit : le scolyte typographe. L’épidémie prend fin lorsque les scolytes n’ont plus de quoi se nourrir, ayant tué tous les arbres. L’insecte disparaît des lieux où s’implantent des essences pionnières : bouleaux et peupliers trembles. On assiste à un changement de régime et elles dominent la régénération. Très appréciées des herbivores, elles font leur festin ; étant en outre héliophiles et peu longévives, elles disparaissent peu à peu au profit d’une régénération d’épicéas et de sapins qui reviennent dans leur milieu naturel. L’écosystème, dans le régime tel que nous le souhaitions (pour la production de bois notamment), est restauré et en quelque sorte a été résilient, même si cela a pris plusieurs décennies et deux changements de régimes.
Interventions possibles de l’homme pour favoriser la résilience naturelle des forêts
Ainsi, alors que les interventions humaines peuvent perturber la résilience des écosystèmes naturels, nous pouvons faire en sorte de la perturber le moins possible. Soit en favorisant la diversité des espèces qui poussent dans une forêt donnée, soit en cas de coupe rase en limitant la surface affectée et nous efforçant de tasser le sol le moins possible pour laisser plus de chances à une régénération naturelle de s’établir. Voire, comme le préconisent les concepts de la sylviculture à couvert ou ambiance continue, en proscrivant ces coupes rases. Ou encore en effectuant des plantations en placeau dans les peuplements existants pour orienter l’avenir de la forêt.
Planter des haies ou ordonner des lisières étagées est encore un moyen de jouer sur les populations d’oiseaux et de rongeurs, donc sur leur résilience, par la connectivité.
Nous favorisons encore les conditions de la résilience des forêts en laissant des parcelles en libre évolution, notamment de vieux arbres ensemenceurs qui, en sus de constituer un habitat important pour toute une faune et flore, autoriseront le processus de régénération naturelle en cas de perturbation.
La sylviculture irrégulière sous couvert continu pour favoriser la résilience des forêts tempérées
C’est par cette sylviculture irrégulière, qui favorise la diversité et ménage à la fois la production de bois et la biodiversité tout en réduisant les perturbations à fort impact telles que les coupes rases, que nous pouvons, comme forestiers, favoriser la résilience. Tout en restant humbles, car la résilience écologique, dans le cadre des écosystèmes forestiers, reste très largement sur des temporalités qui nous échappent.
En définitive, nous avons trois leviers positifs d’action : la diversité, la redondance et la connectivité ; et il nous appartient aussi d’éviter au maximum les perturbations anthropiques du milieu. Sur le reste, nous n’avons pas de maîtrise sinon de manière indirecte, néanmoins importante pour éviter les boucles de rétroaction positives : en diminuant notre empreinte carbone, par conséquent les dérèglements climatiques.