13 déc. 2023

Stratégie nationale biodiversité 2030 : les propositions du gouvernement

La stratégie nationale biodiversité 2030 du gouvernement français va dans le bon sens mais il reste des lacunes, notamment quant au rôle des entreprises.

Louise Bouchardy
Louise BouchardyChargée de projet biodiversité
Stratégie nationale biodiversité 2030 : les propositions du gouvernement

Si l’on salue l’effort du gouvernement qui dote la Stratégie nationale biodiversité 2030 (SNB) de moyens financiers conséquents (un milliard d’euros pour 2024), des questions restent en suspens et une incompréhension demeure : quid du rôle des entreprises qui sont les premières à bénéficier des largesses de la nature et ne sont quasiment pas mises à contribution. L’effort à faire pour enrayer la sixième extinction de masse est colossal. La société civile dans son entier doit y participer, les entreprises au premier chef.

Quelles sont les principales mesures du SNB ?

La troisième Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) présentée lundi 4 décembre 2023 par le gouvernement d’Elisabeth Borne répond à deux besoins : la mise en place d’une feuille de route nationale en matière de biodiversité compatible avec les engagements européens et internationaux de la France et la mobilisation, dans l’ensemble des territoires de métropole et d’Outre-mer, des citoyens et de toutes les parties prenantes.

Réduire les pressions qui s’exercent sur la biodiversité

Pour réduire les pressions sur la diversité du vivant, les grandes mesures du plan gouvernemental sont les suivantes : 

  • d’ici à 2030, 10 % du territoire national sera placé sous protection forte ;
  • tous les récifs coralliens ultramarins feront l’objet de protection en 2025 ;
  • 65% des mangroves feront l’objet de mesures de conservation d’ici à 2030 ;
  • les herbiers de posidonie seront intégralement protégés ;
  • un nouveau parc national des zones humides sera créé d’ici 2030.

Par ailleurs, la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers sera divisée par deux d’ici à 2030, permettant de préserver 120 000 hectares par an et le souhait de diminuer de moitié l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et la pollution lumineuse à l’horizon 2030 est exprimé. Les emballages plastiques à usage unique seront progressivement supprimés et 94 décharges littorales répertoriées seront résorbées.
D’ici à 2025, 50 % des communes littorales seront engagées dans la démarche “Plages sans plastiques” pour atteindre 100 % d’ici à 2030. 
D’ici à 2025, 500 opérations coup de poing contre des espèces exotiques envahissantes seront organisées et le taux d’établissement de ces espèces connues ou potentielles devra être réduit d’au moins 50 % en 2030.

Restaurer la biodiversité dégradée partout où c'est possible

Sur le volet restauration, le gouvernement propose des mesures de restauration volontaristes : prairies permanentes, 50 000 km de haies supplémentaires d’ici 2030 et une gestion améliorée de ces écosystèmes. Par ailleurs, d’ici à 2026, 50 000 ha de zones humides seront restaurés et 1 milliard d’arbres d'essences diversifiées adaptées au climat futur plantés sur la prochaine décennie. Les continuités écologiques qui permettent aux espèces de se déplacer et de se rencontrer seront restaurées grâce à la politique des trames vertes et bleues et d’ici à 2030, les 300 espèces endémiques les plus menacées suivant les critères de la liste rouge de l’UICN seront protégées par un plan de conservation. Enfin, des îlots de fraîcheur devront être créés en ville.

Discussion et critique des mesures gouvernementales du SNB

Attention à ne pas créer un droit à polluer

D’ici à 2030, 10% du territoire français devrait être placé sous protection forte contre un peu plus de 4% aujourd’hui. Toutefois, rien ne définit ce que signifie une “protection forte”. Outre cela, est-ce que certains ne vont pas entendre dans ce message que les 90% du territoire restants n’auront pas besoin de protection ? Partant, qu’ils pourront être abîmés ?
La richesse de la vie s’établit sur un continuum d’espace et de temps. Mettre la biodiversité sous cloche ça et là peut avoir des effets bénéfiques à court terme, comme le démontrent Gilbert et Béatrice Cochet (L’Europe réensauvagée, Actes Sud). Mais si d’une part c’est un constat d’échec (nous ne savons pas vivre en bonne entente avec la vie sauvage donc nous devons en placer des pans sous haute protection), c’est aussi une stratégie limitée. La biodiversité inclut la diversité génétique donc le brassage des gènes. Comment le rendre possible dans un pays où les populations ne se côtoient pas ? Les trames vertes et bleues peuvent paraître d’une certaine manière dérisoires au vu de l’enjeu (la France est le sixième pays au monde pour le nombre d’espèces menacées).
Enfin la biodiversité commune doit également être protégée car la vie n’est pas possible sans elle et parce que le Vivant est menacé à tous les niveaux. Aujourd’hui, certains chiroptères sont plus menacés que certains étourneaux, ce qui ne veut pas dire que la pression ne soit pas déjà forte sur ces derniers, qui pourraient être les prochains sur la liste (quand les premiers auront disparu).

Crédits de renaturation : éviter le piège de la compensation

Dans le cadre de la loi Industrie verte, des crédits de renaturation, cessibles entre acteurs économiques, pourront être attribués à des sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation pour inciter à des engagements volontaires solides et vérifiables des entreprises, en miroir des crédits carbone attribués au titre du label bas-carbone”, écrit le gouvernement. 
Les moyens d’inciter les entreprises à prendre leur part de responsabilité sont à soutenir. Sachons toutefois tirer les leçons des erreurs passées. Nous avons vu à quel genre de gabegie a pu mener le mécanisme de compensation carbone. Certains acteurs économiques ont acquis des crédits de compensation sans rien chercher à modifier pour endiguer leurs émissions de gaz à effet de serre, tandis que dans d’autres cas, nous avons assisté à un commerce de crédits fantômes dont l’effet sur le climat a été nul sinon délétère. 

1 milliard pour la biodiversité vs 7 milliards en faveur d’actions qui lui sont dommageables ?

Nombre d’ONG environnementales ont déjà mis en garde le gouvernement, dont le WWF qui avance le chiffre de 7 milliards d’euros alloués à des subventions agricoles dommageables pour la biodiversité. L’utilisation du glyphosate vient notamment d’être renouvelée pour dix ans en UE faute d’accord entre les Etats membres. Poursuivre ce genre de politique et continuer de soutenir l’agriculture intensive et conventionnée en France semble en parfaite contradiction avec la Stratégie nationale pour la biodiversité, et l’une de ces mesures propres à anéantir les efforts consentis pour inverser la tendance. 
Pourtant, la France est depuis près d’un an le seul Etat européen à avoir interdit tous les néonicotinoïdes sur son territoire, au risque de sacrifier sa filière sucrière. 
Au pied du mur, nous n’avancerons plus sans sacrifice. Plus nous cherchons à repousser l’échéance des décisions fortes et courageuses à prendre, plus le choc sera rude. Et plus les pertes économiques seront importantes. C’est pourquoi toute la société doit prendre ses responsabilités et contribuer à l’effort national. Les entreprises seraient bien inspirées de montrer l’exemple.

Quel sera le financement de ces mesures ?

Outre le fait que bien des propositions faites puissent être contestées sur leur résultat, c'est sur leur financement que nous voudrions nous interroger. L’Etat compte débloquer une enveloppe d’un milliard d’euros supplémentaires pour la protection de la nature et de l’eau dès 2024 en s’appuyant sur les régions et les collectivités pour déployer son plan. 
Mais est-ce à l’Etat de financer toutes ces mesures ? Les entreprises ne sont-elles pas les grandes gagnantes de cette équation ? En effet, aucune contrainte n’est envisagée pour que les entreprises intègrent la stratégie nationale biodiversité à leur propre stratégie, sinon via la CSRD (applicable à quelque 50 000 entreprises européennes aujourd’hui) et l’ESRS E4 dédié à la biodiversité et aux écosystèmes qui les obligent à publier leurs actions dans leur reporting extra-financier.

Pourquoi les entreprises sont-elles les grandes oubliées alors qu'elles sont les premières bénéficiaires de la biodiversité ?

Si la SNB n’a pas directement de portée contraignante pour les entreprises, elle laisse toutefois présager des orientations sectorielles nécessaires et de la systématisation d’exigences nouvelles pour les acteurs économiques. Au vu de l’échec des SNB précédentes, l’implication de l’ensemble des acteurs du territoire est cruciale pour espérer atteindre les objectifs annoncés ; les entreprises ont un rôle majeur à jouer” écrit le cabinet de conseil Carbone 4
Le succès de la transition sociale et écologique dépendra de la capacité des entreprises à s’y engager résolument. Ne nous leurrons pas : la philanthropie, pour essentielle qu’elle soit, ne peut suffire à conduire la transition écologique à laquelle nous sommes appelés. On l’oublie trop souvent, mais le monde des affaires et les écosystèmes sont étroitement liés et dépendants l’un de l’autre, c’est ce que l’on définit comme le principe de double matérialité. Les activités économiques ont un impact sur les écosystèmes par le biais de la consommation, de la pollution, de la conversion des terres et d’autres activités commerciales. En même temps, les entreprises sont fortement dépendantes des écosystèmes. L’industrie des boissons par exemple, dépend de la ressource en eau douce. Le secteur agroalimentaire dépend des capacités de la nature en matière de pollinisation, de protection contre les ravageurs et de contrôle de l’érosion. Les compagnies d’assurance bénéficient de la protection des zones littorales créée par les récifs de corail, tandis que le tourisme bénéficie de la valeur récréative de ce même écosystème. Parce que nombre de ces bénéfices sont obtenus gratuitement, les entreprises considèrent bien souvent les services rendus par les écosystèmes comme des acquis, jusqu’à ce qu’ils soient mis en péril ou disparaissent complètement.
Il est largement temps qu’elles prennent leurs responsabilités et s’attellent à œuvrer pour protéger ce qui fait leur richesse et qui est notre patrimoine commun !

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