20 juin 2022

Pour préserver la biodiversité, les espèces communes sont importantes

La préservation de la biodiversité au quotidien consiste à réduire l’impact de l’activité humaine sur les espèces communes et prendre conscience de leur importance.

Pour préserver la biodiversité, les espèces communes sont importantes

Quand on s’intéresse à la perte de la biodiversité, le réflexe commun est de chercher et mesurer les espèces rares menacées de disparition, les espèces protégées ou de déplorer la perte de faibles populations. Pourtant, la perte de biodiversité se mesure aussi aisément parmi les populations faunistiques et floristiques communes. Et leur net amenuisement en dit très long sur la crise du vivant que nous traversons mais aussi sur notre rapport au monde qui nous environne. Ce n’est pas parce que nous voyons toujours des moineaux à Paris ou moins de hérissons écrasés sur les routes qu’ils sont en meilleure santé et en aussi grand nombre. C’est que nous nous habituons à leur disparition jour après jour. Il est donc indispensable de préserver la biodiversité au quotidien car chaque espèce, si commune soit-elle, a son importance. Et la protection de la biodiversité est l’enjeu majeur de l’ère anthropocène.

Impact des activités humaines sur la diversité des espèces

La population humaine a connu un accroissement incomparable au cours des derniers siècles, et le développement des activités humaines s’est accompagné d’un impact croissant sur l’ensemble des ressources naturelles, depuis la première révolution industrielle. Nous savons que nous exploitons les ressources naturelles de la planète bien au-delà de leur possibilité de renouvellement (cf. le jour du dépassement). Selon une étude publiée en 1997 par Vitousek, Mooney, Lubchenco, & Melillo, près de la moitié des réserves accessibles d’eau potable avait été consommée et 20% des ressources halieutiques (ressources vivantes des milieux aquatiques) étaient au bord de l’extinction, tandis que 40% de plus étaient à la limite de la surexploitation. 
A cela, nous pouvons ajouter l’impact de l’activité humaine sur la diversité du vivant via l’occupation des sols et la pollution. Les mêmes scientifiques ont démontré que deux tiers, voire la moitié, des habitats terrestres ont été soumis par l’homme à des changements d’utilisation du sol depuis le Néolithique.
“Dans le même temps, note Jean-Claude Abadie dans sa thèse de doctorat du Muséum National d’Histoire Naturelle*, nombre de grands cycles biogéochimiques ont été bouleversés ; la concentration de dioxyde de carbone et de méthane, deux gaz à effet de serre, s’est accrue respectivement de 30% et 145 % depuis le début de l’ère industrielle (Harrison & Pearce, 2000a), tandis que plus de la moitié de la fixation actuelle d’azote atmosphérique peut désormais être attribuée aux activités humaines (Vitousek et al., 1997).”
L’être humain a ainsi, fait-il remarquer, un impact considérable sur l’ensemble de la biodiversité au niveau des écosystèmes, au niveau spécifique (entraînant l’extinction de nombreuses espèces) et au niveau de la diversité génétique en réduisant la taille des populations.

Pourquoi ne voyons-nous pas la biodiversité s’appauvrir ?

Bruno David, président du Muséum national d’Histoire naturelle, auteur du livre A l’aube de la sixième extinction (Grasset) a cette image frappante pour nous faire prendre conscience de l’amenuisement de la biodiversité que nous ne percevons pas : chaque matin, nous nous voyons dans le miroir et nous trouvons la même tête que la veille ; pourtant, si nous comparons notre visage à une photographie plus ancienne, nous constatons que nous avons changé. C’est la même chose pour ce qui concerne la faune et la flore. Aujourd’hui, nous voyons toujours des moineaux à Paris, nous pensons par conséquent qu’ils ne sont pas menacés. Or, 70% de leur population a disparu. Cela s’est fait peu à peu. De même, nous voyons peut-être moins de hérissons écrasés sur les routes qu’au cours de notre enfance. Ce n’est hélas pas qu’ils soient devenus plus prudents mais moins nombreux. 
Ainsi ne voyons-nous pas l’appauvrissement de la biodiversité au jour le jour. Mais dès lors que nous prenons du recul, nous en faisons le constat. L’été, les insectes sont moins nombreux sur le pare-brise des voitures qu’ils l’étaient il y a dix ans, il y a vingt ans. Et pour cause, leur biomasse a diminué des trois quarts en une vingtaine d’années, ont relevé des scientifiques allemands
Ce qui est extrêmement préoccupant est ainsi le très fort amenuisement d’espèces communes, poursuit Bruno David : moineaux, hérissons, lapins, etc.

L’intérêt des espèces communes et le danger que représente leur diminution

Le rôle des espaces de vie protégés et des parcs nationaux est limité, comme nous le verrons plus bas. Aussi les scientifiques privilégient-ils aujourd’hui la préservation de la biodiversité commune partout où elle se trouve, selon les principes de l’écologie de la réconciliation. L’idée désormais très largement partagée par la communauté scientifique est que la biodiversité est touchée à tous les niveaux et que l’appauvrissement des espèces communes est plus grave que la disparition d’espèces rares. Car la biodiversité est une longue chaîne d'interconnexions, et si les espèces les plus familières sont menacées, toutes celles qui se trouvent à un bout ou l’autre de la chaîne sont condamnées. 
Or, note Bruno David, nous dégradons le tissu du vivant à grande vitesse et sommes entrés dans un processus de déclin. Si les extinctions d’espèces communes sont encore peu importantes, elles menacent, car nous avons des diminutions d’abondance. Suivant le concept écologique de “dette d’extinction” un certain nombre d’espèces ne sont pas encore éteintes, mais ce n’est qu’une question de temps. A proprement parler, les espèces végétales ou animales sont résilientes jusqu’à un certain point. Il est toutefois difficile de prévoir à quel moment le seuil de résilience sera franchi et c’est pourquoi on peut penser qu’une espèce est encore en bonne santé alors que son processus d’extinction est déjà engagé. Tout simplement parce que les espèces qui la nourrissent, ses habitats etc. sont menacés ou déjà détruits. Beaucoup d’espèces animales et végétales nous sont encore inconnues, il nous est donc difficile d’anticiper leur disparition et éventuellement de l’éviter ou encore de définir leur importance dans la survivance d’espèces qui leur sont corrélées ou subordonnées. Tant qu’une espèce n’a pas disparu, il est théoriquement possible d’agir pour empêcher son extinction, à moins que le seuil de résilience soit franchi.
Les crises majeures, au cours des millions d’années qui nous précèdent, ont été marquées par des disparitions d’espèces de l’ordre de 80%, là où nous ne sommes pas encore à 10%. Seulement, cela s’est fait sur un temps très long, ainsi de l’extinction des dinosaures qui n’a pas été causée par une météorite, celle-ci ne faisant qu’accélérer un processus en cours depuis 5 millions d’années. 
Aujourd’hui, relève le président du Muséum, nous sommes entrés dans un déclin d’espèces communes similaire qui pourrait se conclure par leur extinction de manière beaucoup plus rapide, de l’ordre de 100 à 1000 fois ! Nous traversons un processus comparable à celui qui a prévalu lors des crises géologiques passées, les crises se caractérisant par un déclin progressif du processus de reproduction des espèces. 
Ainsi l’urgence est-elle de maintenir la nature ordinaire et de contenir notre impact sur elle. “En effet, note Jean-Claude Abadie, la sauvegarde de bon nombre d’espèces ne requiert pas la création de réserves, mais passe par des mesures de gestion locale afin, par exemple, de sauvegarder leur habitat particulier (haie, bois mort, milieux ouverts, etc.) à large échelle (Franklin, 1993). Il ne s’agit donc plus seulement de tenter de maintenir des îlots de nature dans un état sauvage à l’abri des actions humaines, mais de mettre en oeuvre une gestion complexe et diversifiée de l’ensemble de la nature ordinaire, afin de préserver la capacité évolutive des processus écologiques et des espèces qu’elle recèle (Larrère & Larrère, 1997). Cela implique de gérer la nature au sein même des habitats fortement marqués par les activités humaines.”

Limites des aires protégées, avantages d’une écologie de la réconciliation pour la conservation de la nature

Dans ce contexte, si les mesures prises dans les aires protégées ne sont pas à condamner, elles sont largement insuffisantes et l’accent doit être mis sur une approche écologique quotidienne, telle que l’écologie de la réconciliation : protéger la biodiversité partout où elle se trouve, notamment là où l’homme a établi ses activités. 
La biologie de la conservation a émergé au XIXe siècle avec la création du parc national de Yellowstone en 1872, les premiers parcs nationaux naissant en Europe presque un siècle plus tard (en France, la loi date de 1960). “Ce type d’action, écrit Jean-Claude Abadie, est alors basé sur l’idée d’une sanctuarisation de la nature, la conservation passant par la mise en réserve de quelques îlots de nature, reconnus d’intérêt patrimonial car hébergeant souvent des espèces emblématiques. Cette idée de préservation de la nature en tant que valeur esthétique et spirituelle est largement inspirée d’une éthique de conservation romantique développée par des auteurs tels que Thoreau (1854) ou Emerson (1836).”
C’est ainsi que la plupart des efforts de préservation se sont longtemps concentrés sur le développement de zones protégées dont percent depuis quelques décennies les limites. D’abord parce que la mise sous cloche d’une partie de la biodiversité sans prendre de mesures dans le reste du territoire sera impuissante à régler les problèmes de biodiversité à long terme. En France, moins de 2% du territoire national est placé en zone de protection. Ensuite parce que ces îlots ne permettent de préserver qu’une infime partie de la biodiversité, en faisant souvent l’impasse sur la biodiversité commune. Enfin, parce que la mise sous cloche ne permet pas aux espèces ainsi protégées de s’adapter et d’être plus résilientes : elles demeurent inévitablement dépendantes du territoire vital protégé qui leur est alloué et leur population est, à terme, menacée par un appauvrissement génétique. Le morcellement et la fragmentation des habitats n’est donc pas la bonne solution ; les études ont d’ailleurs prouvé que “les zones protégées se sont révélées insuffisantes pour enrayer le déclin des grands vertébrés (Ramade, 1999)”, note Jean-Claude Abadie.
Last but not least, étant donné le rapide changement climatique en cours, les aires protégées d’aujourd’hui pourraient, demain, n’être plus adaptées aux espèces qu’elles sont censées abriter.

La perte de biodiversité est l’enjeu majeur de notre époque

Nous dépendons totalement du reste du vivant sur Terre, nous rappelle Bruno David. Et, bien que cela puisse sembler une lapalissade, il n’est pas inutile de le rappeler : nous ne mangeons que du vivant, ne digérons nos aliments que grâce au vivant qui est en nous. Sans le reste du vivant, nous ne sommes rien et seulement condamnés à disparaître. 
Nous semblons pourtant focaliser notre attention sur le réchauffement climatique, peut-être simplement parce qu’il est prédictible, tandis que l’évolution de la diversité du vivant est beaucoup trop complexe, étant donné son adaptabilité. Aujourd’hui, le changement climatique est huit fois plus médiatisé que l’érosion de la biodiversité. Il n’est pourtant que la troisième cause de cette érosion, après la destruction des habitats naturels et la surexploitation des matières premières. Ainsi, même si le dérèglement climatique était miraculeusement résolu par l’Homme, quatre phénomènes de pression d’origine anthropique sur la diversité du vivant continueraient de l’appauvrir : la surexploitation, la dégradation des habitats naturels, les invasions biologiques (introduction d’espèces exotiques envahissantes) et les cascades d’extinction en chaîne. 
Les crises de la disparition du vivant sont toujours multifactorielles. Aujourd’hui, le rôle du climat demeure le plus important, mais ce qui est extraordinaire, c’est qu’il est en grande partie dû à l’impact d’une espèce : homo sapiens sapiens. Nous éradiquons les mammifères beaucoup plus vite que jamais ; passant de l’ordre de 80% à 8000% par rapport aux grandes crises anciennes, d’après le président du MNHN. Aussi le mur est-il encore loin si nous n’évaluons que la distance. Le problème est que nous nous précipitons dessus à très grande vitesse, ce qui le fait tout à coup paraître beaucoup moins éloigné. 
Aujourd’hui le GIEC et l’IPBES estiment que le climat et la biodiversité sont un seul problème à prendre en compte et qu’il est largement temps de mettre l’accent sur la préservation et la reconstitution de la biodiversité. 
Plus même, Vincent Bretagnolle, directeur de recherche au CNRS-Centre d’Etudes Biologiques de Chizé et coordinateur du rapport Ecobiose sur le rôle de la biodiversité en Nouvelle-Aquitaine, estime que la biodiversité est le premier enjeu car si nous nous focalisons sur les changements climatiques, nous risquons de passer à côté de la préservation du vivant. Son constat et ses préconisations rejoignent celles du directeur du MNHN. Pour rappel, la biomasse des mammifères “était à 99.9% composée par des animaux sauvages il y a 2000 ans. Aujourd’hui, cette part n’est plus que de l’ordre d’1 ou 2%. Autrement dit, l’Homme et ses animaux domestiques représentent aujourd’hui environ 98% de la biomasse des mammifères.”


* Cet article s’inspire notamment de la thèse d’écologie de Jean-Claude Abadie, présentée et soutenue publiquement le 23 juillet 2008 pour obtenir le grade de docteur du Muséum National d’Histoire Naturelle

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