11 déc. 2020

Nous devons adapter les forêts au changement climatique

En France, certaines forêts sont victimes des sécheresses répétées et des attaques de scolytes, quelles sont les solutions pour les adapter au changement climatique?

Nous devons adapter les forêts au changement climatique

Alors que dans la région Grand-Est, les forêts sont victimes des sécheresses répétées et des attaques de scolytes, on cherche des solutions pour les adapter au changement climatique. Nos forestiers Vianney de la Brosse et Arnaud De Grave et notre ingénieur forestier stagiaire Margaud Dieffenbacher nous expliquent quelles actions il convient de mettre en place pour rendre les forêts plus résistantes au réchauffement climatique.

Certaines forêts françaises souffrent du changement climatique

Victimes de la sécheresse et des invasions d’insectes, des milliers d’arbres meurent, dans les forêts de l’Est de la France, mais aussi en Auvergne-Rhône-Alpes et en Bourgogne-Franche-Comté. Les agents de l’Office national des forêts ont lancé un programme baptisé “ilôts d’avenir” pour adapter la forêt au réchauffement climatique et à tout ce qui s’ensuit. C’est ainsi que 10 nouvelles essences vont être testées sur 100 parcelles : le cyprès d’Arizona, le pin de Macédoine, le calocèdre des Etats-Unis, ou le chêne pubescent, par exemple, qui est largement répandu autour de la Méditerranée, mais dont les qualités sont moins estimables pour la filière forêt bois que chez ses cousins le chêne sessile et le chêne pédonculé
C’est toutefois un enjeu vital, alors que des dizaines d’hectares d’épicéas ont dû être rasés pour éviter que l’invasion de scolytes se propage davantage. Adapter les forêts est devenu le maître-mot. Qu’en disent nos experts ?

Adapter les forêts au changement climatique, c’est les rendre plus résilientes

“Il faut se baser sur la théorie de la résilience, pour résister au choc climatique qui nous arrive, explique Arnaud De Grave, nouveau forestier d’EcoTree. Parmi les 7 piliers de la résilience, le plus important pour nous, c’est la diversité. Nous comprenons bien que si nous avons 40 000 fois le même arbre au même âge, au même endroit, le moindre pathogène s’y donnera à coeur joie comme dans un jeu de quille : il fera très vite des ravages ! Au contraire, dans une forêt où les essences de différentes classes d’âge sont mélangées, le pathogène n’aura pas tous les arbres à sa disposition. S’il s’attaque aux jeunes, les vieux s’en sortiront, et inversement. C’est sur ce principe de sylviculture irrégulière que nous définissons nos itinéraires sylvicoles. Il faut privilégier la diversité !
Les itinéraires irréguliers que nous mettons en place sont mixtes sur les classes d’âge mais aussi sur les essences. Nous ne planterons jamais une seule essence sur une parcelle. Il y aura toujours au moins une essence d’accompagnement.”

“Un deuxième effet de la diversité, affirme notre cofondateur et forestier Vianney de la Brosse, c’est que certaines essences ont un effet répulsif sur des pathogènes. Par exemple, il est très utile de planter dans des forêts de résineux, comme les pessières des régions de l’Est, des bouleaux, des saules ou des aulnes, qui favorisent la biodiversité et donc l’accueil des prédateurs des scolytes. Il s’agit là d’un moyen naturel de lutte biologique contre une espèce invasive.”

“La diversité des essences offre également une multitude d'habitats et de conditions variées qui plaisent à différents animaux, insectes, oiseaux, batraciens... Valoriser la diversité des peuplements, c'est dès lors valoriser la faune et donc tout l'écosystème”, ajoute Margaud Dieffenbacher, futur ingénieur forestier.

Modifier le peuplement d’une forêt se fait-il facilement ?

“Dans l’Est de la France, des forêts entières d’épicéas ont été plantées dans les plaines il y a 50, 60 ans, et même davantage, car cela a commencé après la guerre, rappelle Arnaud. La forêt était alors principalement vue comme une commodité, pas encore comme un écosystème complexe. Aujourd’hui, on se rend compte que les pratiques n’étaient pas forcément les bonnes, puisque les épicéas sont décimés par les scolytes et la sécheresse.”

“Il y a une cinquantaine d’années, explique Margaud, certes on faisait des plantations régulières, mais ce dont il faut bien se rendre compte, c'est que ça fonctionnait. Le régime des pluies était mieux réparti, les températures estivales moins extrêmes et donc les arbres poussaient bien. Les machines utilisées pour les travaux étaient aussi beaucoup moins lourdes. Avec le développement de la mécanisation, les engins sont devenus de plus en plus lourds, donc le tassement des sols lors des coupes est devenu beaucoup plus important. Le réchauffement climatique a également largement déstabilisé les peuplements, en agissant sur la répartition des précipitations et sur les périodes de sécheresse, favorisant les maladies et les ravageurs. Ce sont ces différents phénomènes qui ont amené les forestiers à s'intéresser à la futaie irrégulière.”

“Nous savons que les arbres agissent sur le sol, que quand certains l'enrichissent en contribuant à la formation de la litière, d'autres participent à le dépolluer, tandis que certains l’acidifient ou l’appauvrissent, ce qui est le cas des pins qui acidifient le sol autour d’eux en y laissant tomber leurs aiguilles, limitant ainsi la concurrence autour de leur tronc, et qui peut être le cas de ces grandes plantations d’épicéas, poursuit Arnaud. Il n’y a pourtant aucune raison que l’on n’arrive pas à y replanter plusieurs essences. Il leur faudra peut-être plus de temps pour s’adapter à ces sols et former de belles forêts, mais elles y arriveront, et les paysages du Grand Est sont amenés à changer.” 

Vianney corrobore ces propos : “L'acidification vient plus du mode de gestion en monoculture intensive que de l'essence. D'autre part, il faut reconnaître que les résineux sont acidiphiles pour la plupart, et qu'ils sont donc souvent installés sur des terrains déjà acides…”

D’où viennent ces pathogènes qui déciment les forêts françaises ?

“C’est un problème qu’il faut aussi prendre en compte : les pathogènes se multiplient avec les échanges commerciaux liés à la mondialisation, selon Arnaud. Par exemple, le dendrochone de l’épicéa de Sitka vient de Sibérie et cause des ravages chez nous, comme le rappelle Vianney. Le principal problème des pathogènes aujourd’hui est la circulation des biens et des personnes dans le monde. Cela a commencé avec Christophe Colomb et ne fait que s’amplifier. La quasi-totalité des châtaigniers, qui représentaient jusqu’à un arbre sur quatre dans certaines régions des Etats-Unis, notamment dans les Appalaches, a disparu, à cause d’un champignon pathogène malencontreusement importé d’Asie au début du XXe siècle. Les arbres s’adaptent, mais il leur faut beaucoup de temps, or notre activité ne leur offre pas ce temps. 
C’est la même chose que pour les frelons asiatiques. Les abeilles domestiques européennes n’ont pas encore eu le temps de s’adapter aux attaques de ce ravageur importé d’Asie. Les attaques de pathogènes ne sont donc pas nouvelles, mais la multiplication des transports les rend plus prégnantes, et c’est pourquoi il est indispensable de rendre nos forêts plus résilientes. 

Il faut bien avoir en tête que transporter des grumes veut nécessairement dire transporter des champignons, des graines, des insectes, etc. Le chêne sait comment survivre à ses champignons ou à ses insectes en France, mais ceux-ci peuvent être nocifs en Asie, ou inversement. Il faut donc de la résilience, et pour cela privilégier la diversité dans nos plantations.”
 

 

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