6 avr. 2020
Portrait d’Erwan, cofondateur d’EcoTree
Breton et amoureux des forêts, Erwan Le Méné a cofondé EcoTree pour rendre à la nature sa juste valeur.
Bien que financier de formation, Erwan Le Méné a toujours été attiré par la nature et les grands espaces. Ce qui l’a poussé à fonder EcoTree, c’est la conscience que le développement durable serait l’enjeu majeur du XXIe siècle. Donc, le défi le plus passionnant à relever.
Quel est ton itinéraire et d'où te vient ce goût pour les choses de la nature ?
Erwan Le Méné : J’ai grandi en région parisienne, mais j’ai fait mon lycée en internat en pleine campagne, en Vendée. J’ai une grand-mère danoise, qui m’a appris à connaître les pays scandinaves. Je suis ingénieur de formation et j’ai poursuivi avec un MBA en finance. Je ne me destinais pas à la finance, mais, arrivé sur le marché du travail lors de la crise financière de 2007-2008, l’industrie était au plus bas. Et finalement, j’ai trouvé mon compte dans la finance, parce que c’est encore une affaire de chiffres et de calculs.
Je dois à mon éducation, à mes années de scoutisme et d’internat, mon goût pour la nature. Aujourd’hui, je vis à Brest, et entre midi et deux, je cours souvent en pleine nature pour décompresser. Je me désole tout autant de tomber sur un frigidaire abandonné dans les bois que de trouver du plastique dans l’océan. Je suis attristé par le fait que nous dégradions ce qu’il y a de plus beau au monde, la nature.
Comment en es-tu arrivé à fonder EcoTree ?
Erwan : Cela s'est produit au terme d’une longue réflexion menée sur les enjeux du XXIe siècle. Il y a maintenant dix ans, je me suis fait cette réflexion que le développement durable en serait le principal enjeu. Pour la simple raison qu’il suffit d’imaginer que les Chinois ou les Indiens consomment comme des Américains pour se représenter le choc écologique que nous subirions. Entre les besoins d’électricité ou de nourriture, par exemple, nous sommes en train d’épuiser nos ressources naturelles à grande vitesse. Pas uniquement le pétrole, mais aussi la nourriture ! Aux Etats-Unis, 51% de l’alimentation produite est jetée ! Je suis choqué par cette manière de produire pour détruire, car cela mobilise des moyens considérables et affaiblit nos ressources naturelles.
Alors je me suis dit : sachant que c’est le principal enjeu du XXIe siècle, que faisons-nous en France pour y répondre ? J’ai relevé deux grandes initiatives. La première, c’est le mécénat, qui n’a pas du tout les dimensions qu’il faudrait pour répondre à cet enjeu majeur. Ce n’est pas en donnant quelques centimes que nous sauverons le climat. La deuxième, ce sont les impôts. Nous avons mis en place des taxes et des systèmes de bonus-malus : une taxe carbone pour les avions, une taxe recyclage sur les biens de consommation, etc.
Ce qui cloche dans tout ça, c’est que nous devons nécessairement prendre un virage écologique, mais que tout le monde le voit sous un angle punitif. Je pollue ou je consomme, donc je paye. Il m’a semblé que c’était un angle inapproprié.
Je me suis donc inspiré de ce qui se faisait au Danemark, qui est l’un des pays du monde où les gens sont le plus heureux.
"La révolution environnementale que nous allons vivre ne passera que si elle est valorisée."
Peux-tu nous expliquer en quoi le Danemark est inspirant.
Erwan : La mentalité des Danois est tout à fait inverse à la nôtre. Au lieu de punir ceux qui font mal, on y valorise et récompense ceux qui font bien. Par exemple, une entreprise ayant un taux d’absentéisme faible paiera moins d’impôt qu’une entreprise qui a un taux d’absentéisme plus élevé. Par ailleurs, toutes les bouteilles sont consignées, alors tout le monde fait l’effort de les porter au recyclage. Autre chose : pourquoi y a-t-il tant de vélos au Danemark, un pays où il pleut quand même beaucoup plus qu’ailleurs ? Simplement parce que les indemnités kilométriques sont remboursées à la même hauteur, qu’il s’agisse d’un véhicule ou d’un vélo. Quand on a cinq kilomètres à parcourir pour aller au travail, il paraît donc plus judicieux et plus simple d’acheter un vélo électrique qu’une voiture, dont le coût est beaucoup plus conséquent. Un autre exemple : on paye ses ordures ménagères au poids. Alors, naturellement, chacun est attentif à ce qu’il jette.
C’est ce qui me fait penser que la révolution environnementale que nous allons vivre ne passera que si elle est valorisée.
Comment as-tu intégré cela dans les principes d'EcoTree ?
Erwan : Le principe d’EcoTree, c’est d’apporter de la valeur à l’entreprise. Celle qui nous achète des arbres valorise son action et s’enrichit dans le même temps. L’entreprise devient vraiment propriétaire d’arbres qui sont destinés à prendre de la valeur. En outre, ces arbres absorbent du carbone, ce qui autorise les entreprises à déclarer chaque année ce qu’a absorbé leur portefeuille d’arbres.
Avec EcoTree, les entreprises peuvent faire l'acquisition d'arbres, de forêts et/ou de crédits carbone de qualité qui sont émis dans le cadre d'une gestion sylvicole durable.
Mon objectif est de créer un cercle vertueux où l’environnement se marie avec l’économie. On ne doit pas opposer les deux. Or, aujourd’hui, dans beaucoup d'entreprises, l’environnement est perçu comme une contrainte. Grâce à EcoTree, nous réconcilions environnement et économie. En participant à notre démarche, les entreprises ne s’appauvrissent pas, elles captent du carbone, et elles améliorent leur image et leur communication. Il me semble que la notion d’écologie “non punitive” et valorisée est la seule solution pour changer les mentalités, et améliorer la situation.
"Aujourd'hui, il est trop tard pour être pessimiste."
Quelle était ta philosophie lorsque tu t’es engagé dans ce projet de startup ?
Erwan : Il y a une phrase que j’aime bien : aujourd’hui, il est trop tard pour être pessimiste. On peut dire que ce que nous faisons n’est pas grand-chose, compte tenu de l’enjeu écologique mondial. Il faut pourtant que des actions comme celle-ci soient mise en place pour avancer plus sereinement. Ensuite, il me semble que nous sommes la première génération à vivre et subir réellement le réchauffement climatique au quotidien, dans le même temps que nous sommes la dernière génération à pouvoir agir. C’est ce qui explique que nous ayions chez EcoTree des salariés très diplômés en quête d'un travail qui ait du sens. Plus généralement, je constate que les jeunes générations sont beaucoup moins matérialistes que les précédentes. Beaucoup de jeunes gens n’ont pas de voiture, préfèrent le covoiturage ou rachètent des véhicules d’occasion. Pour les jeunes générations, l’usage prime sur la propriété, ce qui n’était pas le cas de nos parents. Aujourd’hui, les salariés veulent avant tout un job qui ait du sens et qui leur permette d’avoir des loisirs plutôt que de travailler énormément pour amasser de l’argent. Le manifeste des étudiants le prouve. L’argent est passé au second plan. C’est un changement positif.
Quelle était ta connaissance des forêts, avant de commencer ?
Erwan : Je n’en avais pas réellement, mais en réfléchissant à la manière d’allier écologie et économie, j’en suis venu au constat que les forêts étaient le meilleur investissement. Vianney de la Brosse, avec qui nous avons lancé le projet, me disait que nous n’avions jamais eu tant de forêts en France, mais qu’elles étaient extrêmement mal entretenues, alors que les forêts sont un formidable puits de carbone, tout en étant un actif de valeur. La forêt française est principalement détenue par des propriétaires privés qui ont souvent peu de moyens. L’idée du projet collaboratif est de dire que nous répondons avec EcoTree à une problématique d’entreprise ou de particulier voulant décarboner, tout en prenant en compte le problème des forêts françaises qui ont besoin d’avoir des investisseurs sur un temps long. Une famille qui possède beaucoup de terres n’aurait pas forcément les moyens de financer un reboisement qui coûte très cher. L’investissement en forêt est un vrai problème, tout simplement parce que le temps des forêts est très long. Ce n’est pas du tout la même chose que dans l’agriculture. Le cycle d’une forêt est de trente ans minimum. Peu de gens sont disposés à investir dans la forêt, parce que c’est un investissement qui leur survivra et qu’ils ne savent pas de quoi l’avenir sera fait. Grâce à ce pont que nous édifions entre les particuliers propriétaires de forêts et les entreprises qui ont l’obligation de compenser leurs activités, nous répondons aux besoins des deux parties.
J’ai toujours pensé à la forêt parce que, indépendamment du bien qu’elle procure à la planète et à la biodiversité, c’est le seul actif qui prend de la valeur intrinsèquement. Indépendamment du cours du bois, l’arbre que je plante aujourd’hui aura poussé dans trente ans. Nous créons de la richesse et de la valeur uniquement par l’action de la nature, c’est fabuleux ! Cela n’a rien à voir avec la spéculation financière qui ne repose sur rien.
En Bretagne, au début du XXe siècle, quand un enfant naissait, on plantait un peuplier, parce que c’est un arbre qui pousse vite, et cela faisait une dot pour le jour du mariage. C’est un procédé vieux comme le monde. Nous n’avons rien inventé, mais nous remettons au goût du jour un investissement qui a longtemps été délaissé au profit d’investissements fictifs sur des marchés fluctuants. Le développement durable passe par la revalorisation du temps long et du sens. Faire du bien à l’environnement prend du temps, cela ne se fait pas en un claquement de doigts. C’est ainsi que doivent évoluer nos mentalités.