5 mars 2020
Tourbières, zones humides essentielles à la biodiversité et au stockage du carbone
Parmi les zones humides naturelles, la tourbière est l’une des plus riches en biodiversité et des plus importantes, de par son rôle de captage de carbone.
Parmi les zones humides naturelles, la tourbière est l’une des plus riches en biodiversité et des plus importantes, de par son rôle de captage de carbone. Il est essentiel d’œuvrer à la préservation de cet écosystème de premier plan.
Que sont les tourbières ?
Résultant de l’accumulation de matière végétale constituant la tourbe, les tourbières sont des écosystèmes particuliers et fragiles, et le stock le plus important de carbone actif de tous les écosystèmes terrestres. Selon l’étude la plus récente, les tourbières stockent à elles seules le double de tout le carbone stocké par la biomasse forestière dans le monde, soit 75% du carbone de l’atmosphère et 30 % du carbone des sols du monde entier. Cela, alors qu’elles représentent moins de 3% des terres émergées. C’est dire si leur rôle est crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique induit par le rejet d’émissions de gaz à effet de serre (GES).
En effet, bien que les tourbières émettent du méthane (entre 20 et 40% des émissions totales dans le monde), elles absorbent trop de CO2 pour que la balance penche en leur défaveur.
Quel est le milieu naturel propice aux tourbières ?
Les tourbières sont de nature si diverses qu’il n’est pas possible de toutes les présenter ici. Selon le climat, la région du monde, la géologie, et bien d’autres facteurs, elles se présentent sous différentes formes et supportent la présence d’arbres et de plantes, ou non.
Les tourbières acides à sphaignes sont issues de lacs post-glaciaires. Elles sont partiellement alimentées en eau par des ruisseaux qui se situent en amont de la tourbière, mais c’est, pour l’essentiel, l’eau de pluie acide et pauvre en minéraux, qui conditionne la végétation et la production de tourbe. Les sphaignes, qui sont un genre de mousse, produisent de la tourbe par leurs parties mortes, faisant remonter la surface de la tourbière et produisant le bombement boisé, si bien que la nappe échappe totalement aux eaux de ruissellement et fonctionne en vase clos. On trouve de tels écosystèmes dans les Vosges et les Pyrénées, mais aussi dans la Réserve naturelle nationale du Lac Luitel, par exemple.
Les marais plats alcalins sont un autre exemple de tourbière que l’on rencontre dans de grandes zones humides de plaines ou de vallées alluviales. Ce sont des systèmes minérotrophes où le rôle direct des pluies est minime. L’eau de la nappe est calcaire, de pH 6 à 8, et enrichie en minéraux. On y trouve des niveaux limono-vaseux intercalés dans la tourbe, suite à des apports de sédiments fluviatiles. Il n’y a pas de sphaignes, mais de nombreux végétaux vasculaires (roseaux, grands carex, aulnes et saules…) à forte productivité, grâce au microclimat chaud et à un niveau trophique plus élevé. On trouve de telles tourbières dans le Marais Vernier dans l’Eure, dans le Marais de Saint-Gond dans la Marne, ou dans le Marais de Lavours dans l’Ain.
Quels que soient les types de tourbières dont nous venons de présenter deux exemples-types, ce qui maintient le milieu tourbeux est une flore particulière qui permet de freiner le ruissellement de l’eau sur les pentes ou de le stocker, comme font les sphaignes.
C’est également l’acidité du sol, qu’elle soit naturelle ou auto-entretenue, qui ralentit la décomposition de la lignine et des plantes.
Les tourbières sont des écosystèmes riches en biodiversité
Si l’Union européenne protège ses tourbières ainsi que leurs hôtes, c’est qu’il s’agit d’écosystèmes exceptionnels et fragiles, donc d’une richesse remarquable. Nombreuses sont les espèces animales et végétales à être devenus rares ou menacés dans et aux abords des tourbières, à commencer par les tourbières elles-mêmes. Or, nous savons que la diversité favorise la vie et la résilience de la nature face aux modifications climatiques, aux attaques parasitaires, ou à toute sorte de catastrophes écologiques.
En France, Hans Joosten estimait en 2009 que le stockage de carbone dû aux tourbières était passé de 150 Mt en 1990 à 137 Mt en 2008. C’est pourquoi il est urgent de réhabiliter ces zones humides et de les protéger.
L’adaptation de la flore est très étonnante dans ces milieux constamment humides, sinon inondés, que forment les tourbières. C’est ainsi que toutes les plantes carnivores de France vivent dans les tourbières ou les eaux stagnantes. Cela pour pallier la déficience en nitrates de ces milieux particuliers.
Les plantes ligneuses, elles, s’assurent un apport en azote par leur symbiose avec d’autres organismes, comme des champignons, l’aulne glutineux, quant à lui, hébergeant, dans ses nodosités racinaires, des bactéries capables de fixer directement l’azote moléculaire dissous dans l’eau.
Pour ce qui est de la faune, la vipère péliade et le lézard vivipare se sont fort bien adaptés à ce milieu, hostile à beaucoup d’autres espèces. Une grande variété de libellules et de papillons y trouvent encore gîte, abri et couvert. Enfin, deux espèces en voie de disparition, la grenouille rousse et le vison d’Europe s’y trouvent parfaitement à l’aise.
Quel est le rapport des tourbières aux arbres ?
Dans le monde, certaines tourbières sont plus ou moins boisées voire enforestées. C’est ainsi qu’en zone tropicale, on peut dénombrer plus de 1000 arbres par hectare, et plus de 100 espèces différentes appartenant à des dizaines de genres et de familles pour un seul hectare. Dans le sud de la zone circumpolaire européenne, les arbres sont communs dans les tourbières alcalines, mais rares ou absents de la plupart des tourbières acides actives. Les gestionnaires de l’Ouest de l’Europe ont longtemps privilégié une gestion des tourbières défavorisant les arbres, afin d’éviter l’assèchement des mares ou la modification du milieu naturel, mais l'étude des fossiles des tourbes anciennes montre que des arbres colonisaient autrefois significativement certaines tourbières. C’est ainsi que l’on recommence à tolérer peu à peu la présence d’arbres, dont le rôle dans l’évapotranspiration n’est pas jugé plus néfaste que celui des sphaignes.
Dans l’hémisphère nord, bouleaux (à la périphérie des tourbières) et saules partagent avec quelques espèces buissonneuses et certains grands résineux l’habitat des tourbières.
Pourquoi faut-il conserver les tourbières ?
Pour toutes les raisons que nous venons de donner, les tourbières sont des écosystèmes riches, complexes et fragiles, dont l’importance est aujourd’hui primordiale. Elles jouent un rôle actif dans la conservation et le filtrage de l’eau. En la stockant dans la tourbe et la relâchant lentement, elles ralentissent les crues et étalent les étiages. Et une fois que l’eau est passée par la tourbière, les végétaux qui la peuplent l’ont filtrée et épurée.
L’intérêt dans la sauvegarde de la biodiversité a été démontré plus haut, mais il ne faut pas oublier que les tourbières ont également un intérêt archéologique primordial, par la conservation de pollens, de graines et d’autres traces du passé préhistorique.
Enfin, les tourbières stockent le carbone et ralentissent l’effet de serre. L’ensemble de la tourbe accumulée sur la Terre, depuis des millénaires, contient environ 500 gigatonnes de carbone, ce qui équivaut à soixante-dix ans d’émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Le drainage et le réchauffement du climat provoquent toutefois une décomposition et une fonte de la tourbe, suivies du relargage de CO2 et de CH4 dans l’atmosphère. Et certains incendies de tourbières en Sibérie et en Malaisie ont des effets dramatiques.
On estime ainsi que, depuis environ 200 ans, entre 50 et 75 % des tourbières (et des autres zones humides) ont été détruites ou fortement dégradées en France et dans les pays limitrophes. C’est pourquoi, il est temps de favoriser leur survie et d’œuvrer à leur réhabilitation.