4 mai 2021
Qu’est-ce que la biodiversité selon Frédéric Ducarme ?
La biodiversité a deux acceptions, l'une courante et l'autre scientifique, que nous présente Frédéric Ducarme.
Philosophe de l'écologie et chercheur au Muséum national d’Histoire naturelle, Frédéric Ducarme nous explique ce qu’est la biodiversité et pourquoi il est nécessaire de la protéger et de mener les forêts vers l’accueil d’une vie riche et diverse.
Comment peut-on définir la biodiversité ?
Frédéric Ducarme : Le terme de biodiversité, popularisé au début des années 1990, a une petite trentaine d’années. Il a deux définitions. La première est médiatique et populaire, la deuxième plus technique et scientifique. Dans la langue des médias, la biodiversité est quasiment synonyme de la nature, elle désigne l’ensemble des êtres vivants dans leur diversité.
Au sens scientifique, la biodiversité s’articule sur plusieurs niveaux. Il y a la diversité des espèces : par exemple, un parc urbain recèle de la biodiversité, mais un continent entier en recèle également, à son échelle.
Combien a-t-on d’espèces différentes sur l’espace donné ? C’est la préoccupation de la biodiversité, mais qui inclut également, au sein de chaque espèce, leur diversité génétique : combien y a-t-il de sous-espèces, de sous-populations, de formes particulières et de variations génétiques, parfois invisibles, au sein de chaque espèce ?
Au-dessus de l’échelon de l’espèce, nous avons une diversité des écosystèmes et des interactions entre ces espèces : il s’agit de la diversité fonctionnelle. A partir d’un même pôle d’espèces, il peut y avoir des écosystèmes différents ou un seul type d’écosystème.
Si l’on s’en tient à la définition commune, le “hot spot” de biodiversité en France est le zoo de Vincennes. C’est là que l’on trouve le plus d’espèces réunies. Mais comme il y a très peu de représentants de chaque espèce ou très peu de diversité génétique et, à l’échelon supérieur, très peu de diversité fonctionnelle, car ces espèces se contentent de manger ce qu’on leur apporte, et très peu de diversité écologique, ce n’est pas un haut lieu de biodiversité pour les scientifiques. Pour la science, aucun zoo n’est un “hot spot” de biodiversité en France. On les trouve plus exactement dans certaines forêts bien protégées.
Quel est le rôle de la biodiversité terrestre ?
F.D. : Ce n’est pas tant que la biodiversité ait un rôle qu’elle soit présente. Quoi qu’il en soit, un écosystème riche en biodiversité sera plus résistant aux perturbations qu’un écosystème moins riche. Si l’on compare une forêt naturelle d’épicéas et une forêt plantée d’épicéas pour faire pousser des sapins de Noël, la première sera plus riche en biodiversité que la seconde. Parce que les sapins de Noël, s’ils ne sont pas tous des clones, ont tous un même idéotype, une même lignée artificiellement sélectionnée. Tous les arbres de cette lignée ont la même propriété. Si un coup de froid ou un coup de chaud s’abat sur elle et qu’elle est sensible à l’un ou l’autre, tous les arbres mourront.
Dans une forêt qui a plus de diversité génétique, certains individus mourront mais d’autres résisteront. C’est l’avantage de la diversité génétique. Cela fonctionne de la même manière à l’échelle des espèces. Quand on a une bonne diversité d’espèces, certaines peuvent souffrir des perturbations, les autres prenant alors le relais. Aux Antilles dans les années 1980, une épidémie a touché les oursins diadèmes. Là où seuls des oursins diadèmes d’une même génétique vivaient, tous sont morts et ils n’ont plus pu assurer leur service de broutage des algues. La poussée des algues a, par conséquent, étouffé le corail, entraînant des réactions en chaîne. Dans l’océan indo-pacifique, plusieurs espèces d’oursins diadèmes coexistent. Donc, si l’une était touchée par une épidémie semblable, les autres prendraient le relais.
Ainsi, avoir une plus grande diversité d’espèces permet d’avoir des écosystèmes plus résistants et plus résilients.
Pourquoi est-il important de préserver la biodiversité ?
F.D. : Parce qu’on ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Si un service essentiel repose sur une seule espèce, sa pérennité est très fragile. Plus on a de diversité, plus on multiplie les chances de résister à certaines menaces.
La résistance à la chaleur, par exemple, est très importante. Le réchauffement climatique pose de gros problèmes au corail, c’est pourquoi nous cherchons des sous-espèces de coraux ou, au sein de la même espèce, des souches qui résistent mieux à ce changement climatique, ce qui est le seul espoir de sauver ces écosystèmes très importants.
Peut-on dire que la forêt a une biodiversité particulière ?
F.D. : La forêt est un écosystème dominé par deux choses importantes : les arbres et le sol forestier. Les forêts ont un sol très particulier qui est dû aux déchets que produisent les arbres, à leur système racinaire et aux très riches faune, flore et fonge du sol qui sont le lieu de multiples interactions.
Une forêt monospécifique est ainsi extrêmement fragile. On voit cela dans les forêts plantées de manière industrielle. Les arbres sont souvent des clones et dès que l’un tombe malade, il transmet sa maladie aux autres et toute l’exploitation est perdue. En revanche, une forêt dans laquelle les essences sont diverses, les arbres d’âges différents et la génétique multiple est bien plus résistante aux maladies. Il se peut qu’un arbre y meurt mais le pathogène aura beaucoup plus de mal à se propager aux autres et la diversité limitera la propagation.
On observe cela avec la chenille processionnaire du pin. Elle cause des ravages dans les grandes plantations monospécifiques de pins, notamment dans les Landes, parce qu’elle peut aisément passer d’un arbre à un autre. Là où les pins sont plus éloignés, comme dans toutes les forêts “naturelles” de France, le papillon a beaucoup plus de mal à se déplacer d’un arbre à l’autre pour y pondre, sans se faire manger.
Quelle est la place de l’homme au sein de la biodiversité ?
F.D. : Sa place est multiple. L’homme a d’ailleurs sa propre biodiversité. Nous ne sommes heureusement pas des clones, sans quoi la Covid nous aurait très rapidement décimés.
Sur la biodiversité qui nous entoure, nous avons un impact par nos agissements, par exemple dans l’agriculture ou dans la foresterie. Le paradigme industriel, depuis Taylor, est la standardisation. Celle-ci permet de simplifier les processus, de réduire les coûts, etc.
Mais standardiser la nature, c’est la fragiliser. L’agriculture et la foresterie ont eu tendance à s’aligner sur le modèle industriel, plantant par exemple d’immenses champs de maïs de plusieurs kilomètres carrés, comme on en voit en Amérique où tous les pieds de maïs sont des clones stériles avec un génotype identique. C’est grave, car si un pathogène se présente, il ravage toute la culture.
Cela fonctionne de la même manière pour les plantations d’arbres et c’est la grande différence entre une forêt et une plantation d’arbres. Si elles peuvent se ressembler, visuellement, ce n’est pas du tout la même chose. En France, nous observons que certaines étendues sont plantées de milliers de clones dont des pathogènes font un véritable régal.
Et comme une plantation moins riche en biodiversité a moins de chance d’abriter les prédateurs du pathogène, celui-ci peut s’en donner à coeur joie et ruiner une plantation d’arbres entière.
Quel serait alors le rôle de l’homme vis-à-vis de la biodiversité ?
F.D. : L’homme doit manger, se chauffer, se vêtir. Il n’a pas vraiment d’autre choix que de planter et cultiver. Il interagit avec la végétation. Le paradigme industriel adapté à la foresterie et à l’agriculture a toutefois des limites et nous observons des catastrophes agricoles chaque année. S’appuyer sur la biodiversité permet d’avoir une agriculture et une foresterie plus durables, plus résistantes et plus résilientes. Beaucoup de chercheurs s’y intéressent et l’ONF, qui est une administration célèbre dans le monde entier, riche de nombreux chercheurs et d’excellents connaisseur de terrain, abandonne progressivement cette politique de la plantation monospécifique d’arbres pour se diriger vers l’entretien d’une vraie forêt, qui ne soit pas uniquement une plantation d’arbres. Cela permet d’avoir des arbres en meilleure santé et de meilleure qualité. Les processus sont certes plus complexes, mais on s’y retrouve économiquement et écologiquement.
Le but est d’être dans la gestion forestière et non pas dans une forme d’agriculture industrielle du bois.
Retrouvez l'intégralité de l'entretien en vidéo ici :