17 avr. 2020
Le cerf : roi de nos forêts
Roi incontesté de nos forêts, le cerf fascine les hommes depuis la préhistoire et hante toujours notre imaginaire.
Roi incontesté de nos forêts, le cerf fascine les hommes depuis plusieurs milliers d’années. Alors qu’il en existait encore de spectaculaires spécimens à l’époque gallo-romaine, sa population a été largement réduite au cours des siècles, avant qu’il ne soit réintroduit dans certaines régions. Aujourd’hui, bien qu’il cause des dégâts dans les forêts, il n’a pas encore atteint sa capacité d’expansion maximale et nul ne voudrait le voir disparaître. Car, plus qu’un animal, il est l’esprit de nos forêts.
Le cerf, “mi-bête, mi-forêt”
Cerf élaphe, cerf rouge, cerf d’Europe, toutes ces appellations lui conviennent, mais la plus belle et la plus juste lui a sans doute été donnée par le poète Ronsard, qui le disait “mi-bête, mi-forêt”. Parce que le cerf ne se contente pas de porter une forêt sur la tête, qui lui tombe chaque hiver, dans le même temps que les arbres dénudés s’endorment dans le gel, et qui lui repoussera au printemps, comme les feuilles aux arbres ; il est l’incarnation de la forêt, son esprit puissant et son râle lorsque l’automne venu, le rut le prend, et qu’il lutte jusqu’à la mort pour la perpétuation de l’espèce. Les forêts d’Europe seraient vidées de tout mystère si le cerf ne les habitait plus. Et bien qu’on le croise rarement, cet animal sauvage, discret et véloce, nous savons qu’il est là et qu’il règne depuis des dizaines de milliers d’années sans doute, si l’on en croit les peintures pariétales très anciennes, et que l’on se rappelle que la plus ancienne divinité connue de la Gaule est le dieu Cernunnos, le “cornu”, dieu de la force fécondante, de la fertilité et du renouvellement saisonnier, maître du temps qui s’écoule et de la Nature, que l’on trouve représenté avec des bois de cerf.
Caractéristiques du cerf élaphe
Grand cervidé des forêts tempérées d’Europe, d’Afrique du Nord, d’Amérique du Nord et d’Asie, il associe deux étymologies pour un même être, élaphe signifiant cerf en grec et cerf provenant du latin cervus mais aussi du gaulois caruos, la racine indo-européenne ker se retrouvant dans toutes les langues celtes. Herbivore ruminant, il est plus adapté à la vie dans les plaines que dans les forêts. La femelle prend le nom de biche à partir d’un an, tandis que le faon mâle est nommé hère, dès l’âge de 6 mois. D’un à deux ans, on l’appelle daguet, tandis que la femelle prend le nom de bichette.
La longueur du mâle peut atteindre 2,60 mètres pour 1,50 mètre de hauteur au garrot et il peut peser jusqu’à 300 kilos, mais son poids varie selon son âge, et selon la région. Plus on avance vers l’Est de l’Europe, plus le poids du cerf est conséquent. Il faut attendre sept ans au mâle pour que son poids se stabilise, environ la quatrième année pour la femelle. Au XIXe siècle a été retrouvé dans un puits funéraire gallo-romain le squelette entier d’un cerf de bien plus grande taille, preuve qu’il existait jusqu’il y a moins de 2000 ans des spécimens de cerfs quasiment géants.
Le cycle des bois du cerf
Plus grand que la femelle, le mâle a généralement un pelage plus sombre que celui de Madame. Mais tous deux ont cette tâche jaune clair qui orne leur croupe, que l’on appelle cimier. Leurs pattes sont constituées de quatre doigts, dont l’un, considéré comme le pouce, est atrophié. Sensible au changement des saisons, le pelage du cerf change de couleur, comme celui des arbres. De brun-roux l’été, il vire au gris-brun l’hiver. Mâles comme femelles peuvent perdre jusqu’à 15% de leur poids lorsque l’hiver est rude. Pendant la période du brame, le mâle peut également perdre 20% de son poids.
Mais le changement le plus spectaculaire est celui des bois du cerf mâle. De même que son pelage mue deux fois par an, d’abord au printemps (avril-mai), lorsque le cerf perd son pelage d’hiver pour une nouvelle peau plus fine et plus claire, alors qu’à l’automne, vers le mois d’octobre, il acquiert une nouvelle robe plus épaisse et plus sombre qui l’aidera à supporter le froid de l’hiver, les bois du mâle poussent au printemps et meurent à l’automne.
C’est à partir de neuf mois que des bois se mettent à pousser sur le crâne du jeune mâle. Ce sont d’abord les pivots qui lui viennent, et à un an, le daguet porte ses premiers bois. Quand ils sortent, les bois sont recouverts de velours, une enveloppe nourricière, duveteuse, irriguée de sang, qui assure leur irrigation sanguine et leur croissance à la manière d’un placenta pour l’embryon. La plupart des cervidés connaissent ce cycle de pousse saisonnier, vraiment impressionnant. C’est la croissance osseuse la plus rapide de toute la nature : environ 3 cm par jour. Elle est directement liée au cycle sexuel de l’animal. Lorsque le printemps vient, le taux de testostérone augmente chez le mâle, lui faisant sortir les bois de la tête. Lorsque l’été s’installe et que les bois ont terminé leur pousse, le cerf se débarrasse de l’enveloppe protectrice en frottant ses bois contre des troncs d’arbre et en mangeant les lambeaux du placenta. On peut alors apercevoir des cerfs aux bois sanguinolents. On appelle cela la frayure. Ses bois sont désormais prêts pour l’automne et la période du rut, où le rôle du mâle prend tout son sens. La fonction sexuelle et la lutte pour la reproduction est en effet la finalité du mâle dans la nature. Les bois du cerf lui permettront de se distinguer et de gagner la lutte contre les autres mâles. La femelle choisit généralement celui qui a les bois les plus beaux et les plus solides, synonyme de sa parfaite santé physique. Ainsi, la lignée la plus puissante se reproduira, autorisant la survie de l’espèce. C’est paradoxalement lorsque les bois seront morts qu’ils seront utiles au cerf.
Habitat et moeurs du cerf
Le cerf vit surtout dans les grands massifs de la forêt tempérée européenne et dans les forêts et maquis méditerranéens. Mais c’est dans les zones de bois claires, les parcelles coupées et en régénération, les trouées et les clairières avec prairies ou les landes et les larges chemins d'exploitation peu fréquentés que le cerf est à son aise. Espèce devenue crépusculaire et nocturne, sans doute à cause de la chasse, de même qu’elle est devenue forestière, alors qu’elle est adaptée aux milieux ouverts ou semi-ouverts, elle quitte la forêt où elle trouve refuge le jour, pour se nourrir et boire au crépuscule dans les champs et les prairies qui bordent les bois. Le cerf n’est pas un animal solitaire et où il en trouve la possibilité, il vit en grands troupeaux (un mâle peut être accompagné d’une harde de 60 biches), broutant essentiellement des plantes de lumière. Il peut parcourir de longues distances pour trouver sa pitance, et son territoire vital est de 1000 à 5000 hectares en France, selon l’abondance de la nourriture qu’il y trouve. C’est pourquoi la fragmentation forestière lui est nuisible, bien que les écoducs, qui lui permettent de franchir autoroutes et lignes ferroviaires, lui soient une aide précieuse.
En l’absence de leurs prédateurs naturels que furent loups, hyènes, tigres à dents de sabre, lions des cavernes, lynx, les cerfs tendent à perdre leur musculature et à se sédentariser. Mais ce sont les hommes qui les ont quasiment exterminés par la chasse depuis le Moyen Age en Europe, si bien qu’à la fin du XIXe siècle, il n’y en avait quasiment plus. Réintroduits, ils se sont multipliés, mais au détriment de leur patrimoine génétique, très certainement appauvri depuis l’époque préhistorique.
Aujourd’hui, leur population augmente et l’on estime qu’il pourrait y en avoir encore beaucoup plus, bien qu’ils causent de sérieux dégâts dans certaines forêts.
Symbolique et mythologie du cerf
Si le cerf venait à disparaître de notre territoire, c’est un pan entier de son histoire et de sa mythologie qui s’effondrerait. En effet, la plus ancienne divinité gauloise connue est le dieu Cernunnos, dont le nom est attesté par une inscription gallo-romaine du pilier des Nautes (Ier siècle ap. J.C.), découvert sous le chœur de Notre-Dame de Paris. Toutefois, les origines du dieu seraient bien plus anciennes et l’on peut estimer que nos ancêtres chasseurs-cueilleurs lui rendaient déjà hommage au Mésolithique, il y a plus de 10000 ans, si l’on en croit certaines représentations d’anciennes grottes. Le dieu portant des bois sur la tête serait l’esprit protecteur du gibier et de la chasse.
Le renouvellement des bois de la bête au printemps, et sa chute en hiver, concordant avec les cycles saisonniers, ont sans doute concouru à la sacralisation du cerf.
Symbole de force physique, reproductrice, de virilité, de fécondité, l’animal apparaît comme l’emblème absolu de la forêt. Il est une richesse naturelle que nous devons préserver.