17 mars 2022
Pourquoi ces expressions avec des animaux ?
Proverbes, locutions et expressions avec des animaux sont monnaie courante dans notre langue, révélant notre rapport profond à la nature.
Chat, chien, âne, coq, rat, renard ou loup, notre langue est truffée de locutions, de proverbes et d’expressions rappelant notre rapport aux animaux. Et si la biodiversité n’était pas que dans la nature sauvage, mais aussi dans notre tête ? Voici un panorama non exhaustif de proverbes et expressions se référant à des animaux, dont le sens ou l’origine ont parfois fini par nous échapper.
D’où viennent ces drôles d’expressions avec des noms d’animaux ?
L’historien Michel Pastoureau explique que le bestiaire européen s’est constitué avant l’antiquité autour d’un noyau primitif composé de huit animaux sauvages et indigènes : l’ours, le loup, le sanglier, le cerf, le renard, le corbeau, l’aigle et le cygne.
“Par la suite sont venus les rejoindre quelques animaux domestiques, d’abord le taureau, le cheval et le chien ; plus tard, le porc, l’âne, le coq et quelques autres. A cette liste, il faut ajouter pour être complet une créature de fiction, le dragon (le plus grand des serpents) et trois animaux exotiques, le lion, l’éléphant et le singe. Soit au total une vingtaine d’espèces jouant un rôle de premier plan dans l’histoire culturelle européenne.” (Le Loup, une histoire culturelle, Le Seuil).
Tâchons de cerner notre imaginaire commun en éclairant quelques expressions qui en disent long sur notre rapport intime aux animaux.
Expressions avec des noms d’animaux faciles à comprendre
Certaines expressions usant d’un nom d’animal, qui sont un langage imagé que nous employons quotidiennement, sont assez simples à décrypter : être myope comme une taupe tombe sous le sens : la taupe vit sous terre où elle creuse des galeries, et le nature l’a dotée d’une assez mauvaise vue. Dire de deux personnes qu’elles sont comme chien et chat, pour appuyer sur le fait qu’elles passent leur temps à se chamailler n’est pas difficile à comprendre. Sentir mauvais comme un rat mort non plus. De même, si l’on dit d’une personne qu’elle a des pattes de sauterelle, un cou de girafe ou de cigogne ou encore un nez de cochon, la métaphore semble évidente. Quiconque a déjà vu, dans un bassin, ce gros poisson ouvrir constamment la bouche sans qu’aucun son en sorte sait pourquoi l’on dit “être muet comme une carpe”. Même si nous avons quelque peu perdu le lien à la nature sauvage, nous savons encore (ne serait-ce que par les fables ou Le roman de Renart), pourquoi l’on dit d’une personne qu’elle est rusée comme un renard. Enfin, aucun d’entre nous n’a envie de se jeter dans la gueule du loup et même un enfant comprend pourquoi. Mais d’autres proverbes ou expressions que nous utilisons aussi couramment ont une origine moins évidente.
Adages, locutions et expressions liées aux animaux domestiques
Expressions liées au cochon
Comme pour la nourriture, le cochon s’agrémente à toutes les sauces dans la langue française : on peut ainsi avoir un nez ou des yeux de cochon, manger comme un cochon, écrire comme un cochon, être gras ou saoul comme un cochon, être bête comme trente-six cochons. Mais une locution proverbiale dit aussi : un cochon n’y retrouverait pas ses petits, pour signifier combien le lieu est mal rangé.
Quant à l’expression “jeter des perles aux cochons”, elle vient de l’Evangile et signifie qu’il ne sert à rien de donner quelque chose de valeur (morale ou matérielle) à des personnes qui ne sont pas capables de les recevoir.
On peut encore avoir une tête ou un caractère de cochon, il arrive que les Parisiens jouissent plus qu’à leur tour d’un temps de cochon, mais on peut aussi être copains comme cochons, ce qui est à peu près la seule expression dans laquelle la comparaison n’est pas injurieuse – et encore ! Il semblerait que cette expression vienne d’une déformation de l’ancien français “soçon”, dérivé du latin socius, qui signifie camarade, compagnon. C’est à ce prix que le cochon est épargné.
Expressions et proverbes liés à l’âne
L’âne n’a pas hérité, dans nos expressions et locutions, d’une place plus enviable. Têtu, bête et lâche, voici à peu de choses près comment l’animal est perçu.
Ainsi, l’on dit “donner le coup de pied de l’âne”, pour évoquer une attaque lâche contre quelqu’un qui n’est pas en état de se défendre. L’être très méchant est dit “méchant comme un âne rouge” et la personne qui est “sérieuse comme un âne qu’on étrille” est source de moquerie puisqu’elle prend un air grave pour un motif futile.
La locution latine asinus asinum fricat se traduit par l’âne frotte l’âne, ce qui signifie que deux idiots qui se rencontrent se congratulent.
Le bonnet et les oreilles d’âne reviennent aux mauvais élèves, le guide-âne aux nouveaux arrivés dans un métier, à qui il faut transmettre le savoir élémentaire par le biais de cet aide-mémoire, la peau d’âne étant un diplôme universitaire qui ne prouve qu’un faux savoir.
Quant au “pont aux ânes”, il est, nous apprend le dictionnaire, “problème, question classique qui, dans un domaine donné, permet de tracer la limite entre les spécialistes et les ignorants, ou, simplement, question, problème classiques, rebattus.”
Enfin, lorsque nos propos sont incohérents ou sans queue ni tête, c’est que nous passons du coq à l’âne.
Expressions, proverbes et locutions relatifs au coq
En effet, le coq n’est pas de reste, qui est généralement considéré comme vaniteux mais aussi hardi et fier chanteur. Ainsi faire le coq est-il se pavaner comme un mâle au milieu de sa basse-cour. Ne dit-on d’ailleurs pas qu’il ne peut y avoir qu’un seul coq sur un tas de fumier lorsque deux vaniteux semblent se disputer la première place ?
“La poule ne doit pas chanter devant le coq” est un vieil adage qui signifie que l’homme doit rester le maître du logis.
Mais l’homme peut aussi bien finir comme un coq en pâte, c’est-à-dire gavé de nourriture sans faire d’effort. Cette expression vient de ce qu’autrefois, les coqs étaient engraissés dans un panier où ils avaient été enfermés pour être gavés de pâtée.
André Gide note dans son journal qu’il a trouvé son ami Francis Jammes très coqempâté par le mariage…
Expressions avec le chat
Bien que l’historien ne le mentionne pas, le chat est assez présent dans notre langue. A commencer par cette expression “donner sa langue au chat”. Qu’il a pourtant chipée au chien. Mme de Sévigné écrivait en effet “donner sa langue au chien”, mais George Sand, deux siècles plus tard, lui préféra le chat. Donner sa langue à un chien ou un chat, c’est signifier qu’on leur abandonne l’organe de la parole donc que l’on renonce à trouver la réponse à la question. Or, puisque George Sand estimait que “mettre quelque chose dans l’oreille du chat”, c’est lui confier quelque chose qui doit rester secret, le chat semblant beaucoup plus attentif aux paroles que le chien, il est l’animal qui sait tout et ne dit rien. Auquel donc, il faut s’en remettre.
Bien d’autres expressions consacrent le chat dans notre langue.
“Passer comme un chat sur la braise” signifie passer rapidement sur un fait douteux.
“Jouer au chat et à la souris”, s’épier en reculant constamment le moment de la rencontre.
“A bon chat bon rat”, que toute défense doit être à mesure de l’attaque.
“Chat échaudé craint l’eau froide”, que toute expérience malheureuse doit servir de leçon de prudence.
“La nuit, tous les chats sont gris”, que l’obscurité efface toute différence entre les personnes ou les choses.
"N'éveillez pas le chat qui dort”, qu’il ne faut pas raviver une histoire ancienne qui pourrait nous nuire.
“Appeler un chat un chat”, dire les choses telles qu’elles sont. L’expression vient de la première des Satires de Boileau dans laquelle il écrit “J’appelle un chat un chat et Rolet un fripon”, Rolet étant un procureur, petit homme à la physionomie de renard.
“Avoir d’autres chats à fouetter”, qui signifie que l’on a d’autres sujets plus importants à traiter, se réfère aux larcins habituels des chats.
Quant à “avoir un chat dans la gorge” qui signifie être enroué, cela viendrait encore d’une confusion entre le terme maton qui était l’autre nom du lait caillé ou grumeaux qui donnait le même effet, lorsqu’il bouchait la gorge, qu’avoir celle-ci prise par des glaires. Le glissement s’est opéré entre maton et matou avant que son synonyme chat le remplace.
Dès potron-minet est encore une appropriation féline d’une ancienne expression qui était dès potron-jacquet, le jacquet étant l’écureuil en normand, ce qui signifiait dès que l’on aperçoit le cul de l’écureuil, donc à l’aube.
Expressions liées au chien
Les expressions et proverbes liés aux chiens sont plus nuancés.
“Un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort” est un adage extrait du livre de l’Ecclésiaste, dans l’Ancien testament, rappelant que nous sommes tous mortels et qu’il nous faut jouir de ce que nous donne le présent.
“Quand on veut abattre son chien, on l’accuse de la rage” est souvent placé dans un discours pour dire que l’on peut faire porter n’importe quelle faute sur le dos d’un innocent si le but est de le condamner.
“Se regarder en chiens de faïence”, fait référence à ces chiens en faïence qui ornaient souvent les cheminées et semblaient se défier dans un silence hostile.
“Les chien aboient, la caravane passe” est un proverbe méditerranéen que l’on emploie pour marquer combien les cris n’ont aucun pouvoir sur celui qui est sûr de sa route.
“Chien hargneux a toujours l’oreille déchirée”, vous semblera très à propos lorsqu’un ami bagarreur viendra se plaindre d’avoir l’oeil au beurre noir.
Quant au voisin qui vous menace constamment sans jamais passer à l’action, vous pourrez coller sur sa porte : “chien qui aboie ne mord pas”.
Expressions et locutions avec des animaux sauvages
Expressions courantes et moins connues liées au loup
Homo homini lupus est une locution latine qui signifie que l’homme est un loup pour l’homme. On la rencontre dans une comédie de Plaute mais c’est Hobbes qui l’a rendue célèbre en en faisant la maxime sur laquelle se fonde le libéralisme : puisque l’homme cherche à manger son semblable, il faut des règles pour contraindre son appétit.
Si un froid de loup se comprend aisément, de même que cette heure entre chien et loup où l’animal sauvage est sur le point de se remettre en chasse, “être connu comme le loup blanc” n’est pas si évident. C’est que l’adjectif qualificatif a été ajouté tardivement. A l’origine, on parlait seulement d’une personne connue comme le loup, c’est-à-dire dont tout le monde connaissait la silhouette et la réputation, même si elle l’ignorait. Un loup qui approche ne passe jamais inaperçu.
L’expression à la queue leu leu vient encore du déplacement des loups (les leus) qui marchent en se suivant.
On se jette encore dans la gueule du loup quand on court face au danger, on marche à pas de loups lorsqu’on ne souhaite être vu ni entendu et l’on dit que “lorsqu’on parle du loup, on en voit la queue” quand la personne redoutable et redoutée dont on est en train de causer apparaît.
D’autres locutions grecques et latines sont moins connues mais témoignent de l’ancienneté des rapports de l’homme au loup. “Danser comme un loup autour du puits” signifiait ainsi faire quelque chose de vain ; “tenir un loup par les oreilles”, se lancer dans une entreprise vouée à l’échec ou, à l’inverse, que la difficulté est surmontée ; “être comme un loup la bouche ouverte”, avoir perdu tout espoir et “tout inconnu ressemble à un loup” que nous avons naturellement peur de l’étranger.
Expressions liées au renard
Le renard étant perçu comme malin, rusé, habile et opportuniste, les opposants à la doctrine libérale ont souvent moqué cette philosophie en la réduisant à cette phrase : mettre un renard libre dans un poulailler libre.
Chez les Compagnons du Devoir, l’aspirant est un renard. C’est aussi comme cela qu’on a appelé les ouvriers qui refusaient de faire grève.
Mais au figuré, on trouve de telles locutions :
“ Se confesser au renard” : confier un secret à une personne susceptible d’en tirer parti
“Coudre la peau du renard à celle du lion” : joindre la ruse à la force.
“Prendre martre pour renard” : confondre une chose avec une autre qui lui ressemble
“Vendre la poule au renard” : trahir les intérêts qui nous sont confiés.
“Un bon renard ne mange pas les poules de son voisin” : l’homme habile n’ira pas commettre de méfait là où il est connu.
Autres proverbes liés aux animaux sauvages
Et pêle-mêle, d’autres proverbes encore ont été formés avec des noms d’animaux plus rares ou exotiques. Ainsi, “un aigle ne prend pas de mouches” signifie qu’un homme supérieur ne doit pas s’occuper de choses au-dessous de lui et doit mépriser les petites questions.
“Dire l’oraison du singe”, c’est marmotter des paroles inintelligibles ; faire semblant de prier et remuer seulement les lèvres.
“On reconnaît le lion à la griffe” signifie qu’à certains traits, on reconnaît la patte d’un grand artiste.