23 avr. 2021
Pourquoi faut-il préserver les chênes-lièges dans les forêts méditerranéennes ?
Arbre typique du bassin méditerranéen, le chêne-liège est largement exploité au Portugal et en Espagne et présente des qualités écologiques primordiales.
Le chêne-liège est un remarquable exemple d’adaptation de la nature à son environnement. Non seulement, les suberaies accueillent la plus forte biodiversité d’Europe, mais le chêne-liège a la capacité de freiner les incendies de forêt et de s’adapter aux sols les plus pauvres. Depuis des siècles, le liège est cultivé notamment pour fabriquer des bouchons. Il faut absolument préserver cette culture, non seulement pour l’économie de pays comme le Portugal et l’Espagne, mais encore pour la biodiversité.
Caractéristiques biologiques du chêne-liège
Chêne-liège Quercus suber, que l’on appelle encore Corcier, Suber ou Suve, fait partie de la famille des Fagacées. Il a la caractéristique d’être pseudo-sempervirent, c’est-à-dire que ses feuilles de l’année tombent lorsque les nouvelles feuilles débourrent au printemps. Il est ainsi toujours vert sans être exactement un arbre au feuillage persistant.
Il vit facilement 300 ans et peut pousser jusqu’à 400 ans si les conditions lui sont favorables. Arbre de taille moyenne, il peut atteindre, de manière très extraordinaire, une quarantaine de mètres de haut, mais ne dépasse généralement pas les 20 mètres.
Ses feuilles sont petites, alternes, coriaces, ovales-oblongues et bordées de dents épineuses et cotonneuses sur la face inférieure.
Il fleurit au printemps, en avril-mai, les fleurs mâles sont en chatons et les fleurs femelles sont minuscules et séparées sur un même pied. Les glands qui en naissent sont oblongs et recouverts de cupules sur leur moitié, poussant par deux sur des pédoncules courts.
Exigences culturales du chêne-liège
Cette essence typiquement méditerranéenne est originaire d’Afrique du Nord et s’est adaptée aux rives nord de la Méditerranée il y a quelque 8500 ans. Aimant les sols pauvres, elle prospère sur des sols acides et siliceux. On dit du chêne-liège qu’il est calcifuge, ne supportant pas les sols calcaires. On dit également que c’est une essence héliophile, qui a besoin de beaucoup de soleil et thermophile, qui aime les fortes chaleurs. Elle déteste l’hydromorphie, quand les sols sont saturés d’eau.
Si l’on peut dire du chêne-liège qu’il est une essence méditerranéenne, c’est en fonction de la chaleur du climat, mais il pousse aussi bien au bord de l’Atlantique, ne se plaisant nulle part mieux qu’au Portugal et dans la partie ouest de l’Espagne, ainsi que sur les côtes landaises de la France et sur les côtes marocaines.
Cet arbre a un enracinement très profond, ce qui fait de lui un être stable, bien que son système racinaire soit horizontal et s’étale en surface, étant ainsi sensible aux blessures des machines ou des outils.
Culture du chêne-liège
Au Portugal, en Espagne, dans une partie du Maghreb, ainsi qu’en Italie, sur le territoire de l’ancienne Yougoslavie et en France (particulièrement dans le Var, les Alpes-Maritimes, la Corse et les Landes), se trouvent de vastes forêts de chênes-lièges qu’on appelle des suberaies. Ce drôle de nom vient du latin suber qui désigne cette essence de chêne.
Le Portugal est le premier pays producteur de liège, avec plus d’un tiers des forêts mondiales de chênes-lièges. Cette industrie du liège est vitale non seulement pour le Portugal mais aussi pour l’Espagne et certaines régions du Maghreb où il est exploité, la quasi totalité du liège mondial étant produit dans le bassin méditerranéen.
L’exploitation du liège est très originale, en ce qu’elle peut se faire sans couper les arbres. C’est un artisanat qui a pris des proportions industrielles mais qui demeure très respectueux de la nature puisqu’un arbre bien traité peut donner 16 à 17 récoltes de liège tout au long de sa vie. Il est donc indispensable de bien soigner ses arbres.
Au bout de 25 ans environ après qu’on a planté le chêne-liège, une première récolte de ce qu’on appelle le liège mâle peut être faite. Cette opération de démasclage, qui est très délicate car il s’agit d’enlever l’écorce de liège de l’arbre sans le blesser, donne un premier liège impropre à la fabrication de bouchons qui sont le nec plus ultra de l’utilisation du liège. On emploie alors généralement cette première récolte pour fabriquer de l’isolant thermique.
Neuf ans plus tard, une deuxième levée pourra être faite. C’est le temps qu’il aura fallu à l’arbre pour reconstituer son écorce épaisse qu’il est possible de prélever sans diminuer les capacités de l’arbre. Cette récolte donne un liège plus lisse mais qui est encore impropre à la fabrication de bouchons. Ce n’est au mieux qu’à la troisième récolte, c’est-à-dire encore neuf ans plus tard que ce que l’on appelle le liège femelle peut commencer d’être récolté.
Ensuite, la récolte sera plus égale en qualité, mais toujours espacée de neuf à dix ans, jusqu’à la mort de l’arbre. C’est ainsi un travail de patience, puisqu’il faut attendre presque 65 ans avant une bonne récolte, mais aussi de précision.
La récolte des plaques de liège se fait de fin mai à début août et requiert une grande habileté pour prélever la matière sans l’abîmer et sans abîmer l’arbre. Avec de l’expérience, un exploitant peut récolter 600 kg de liège par jour. Cette industrie est vitale pour certaines régions du Portugal et de l’Espagne qui ne vivent quasiment que de cela.
Pourquoi il faut préserver la culture du liège
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, prélever le liège n’abîme pas les arbres. Cela les rend un peu plus faibles face aux attaques de parasites ou aux incendies, raison pour laquelle l’exploitation doit être raisonnée. Mais à tout prendre, il est beaucoup plus écologique d’utiliser le liège naturellement produit par les arbres pour concevoir des isolants légers et de bonne qualité ou des bouchons, que de le remplacer par des matières plastiques. La mode des bouchons de vin en plastique a causé beaucoup de tort à la culture du liège. Or, non seulement beaucoup de gens en dépendent économiquement, mais les forêts de chêne-liège sont un atout écologique irremplaçable.
On pourrait penser qu’une suberaie soit un écosystème pauvre, en raison du manque de diversité des essences. Pourtant, bien conservée, la suberaie constitue un des écosystèmes naturels les plus complexes et développés du territoire méditerranéen. Certains n’hésitent pas à dire qu’elle constitue le plus riche écosystème européen. Elle abrite le lynx ibérique, qui est l'un des félins les plus rares au monde. Mais aussi l’aigle impérial ibérique et, en Tunisie, le cerf de Barbarie. Toute la population de grues d’Europe passe l’hiver dans les forêts de chênes-lièges d'Espagne et du Portugal.
Ces forêts sont favorables à une forme d’agro-pastoralisme qui, malheureusement, périclite, laissant des bois à l’abandon, envahis par une végétation arbustive qui conduit à une diminution de la biodiversité et à la disparition de l’habitat d'espèces menacées, ou de la chaîne alimentaire dont elles dépendent. Par exemple, la perte de prairies entraîne la réduction de l’habitat des lièvres dont se nourrit presque exclusivement le lynx Ibérique. Si l’exploitation du liège perd de la valeur, les suberaies seront abandonnées, comme nous l’avons déjà vu, et remplacées par des plantations d’eucalyptus et de pins qui sont plus propices aux feux de forêt.
Le chêne-liège, de par sa grande résistance, est l’un des principaux remparts contre les feux de forêt qui ravagent régulièrement le Sud de l’Europe, notamment de la France, augmentant le réchauffement climatique. Il est indispensable de protéger cette essence et sa culture.