20 déc. 2019

Arbres paysans : quelles trognes !

On peut trouver que les arbres têtards ne sont pas les plus gracieux phénomènes qui soient ou être charmés par leurs gueules cassées.

Arbres paysans : quelles trognes !

On peut, comme George Sand, trouver que les arbres têtards ne sont pas les plus gracieux phénomènes qui soient, et qu’ils gâchent parfois le paysage. On peut à l’inverse, être charmé par leurs gueules cassées et leurs silhouettes massives, aussi surprenantes que sortant tout droit de l’imagination de Tolkien. Quoi qu’il en soit, cette taille radicale qui transforme certains spécimens en têtards ou trognes est à peu près vieille comme le monde, quoique peu à peu abandonnée, et a eu de très importantes fonctions sociales, économiques et écologiques.

Arbres têtards, paysans, trognes : quels noms !

Quand on évoque l’arbre têtard ou la trogne, l’émousse, la truisse, la ragosse, la tronche, la chapoule, le têteau, le hautain, l’arbre à fagots (ou quel que soit l’un des plus de 200 noms qu’on lui donne en France), on pense à ces marronniers ou ces platanes réduits à l’état de tronc chaque hiver. Ne nous vient pas toujours à l’esprit l’image du très vénérable Major Oak de la forêt de Sherwood en Angleterre qui aurait bien pu servir de repaire à Robin des Bois puisqu’il est âgé de près d’un millénaire, pesant 23 tonnes pour une circonférence de 10 mètres, et présentant des caractéristiques physiques tout à fait particulières, pour ce qu’il aurait subi un élagage régulier pendant des siècles.

On ne songe pas non plus tout naturellement au cep de vigne, qui est peut-être la plus ancienne forme de trogne que l’on puisse rencontrer, et sans aucun doute l’une de celles que l’on renierait le moins, de même que les oliviers sont des arbres trognes par excellence, qui eux aussi prouvent jusqu’à quelle richesse mènent le génie humain allié à celui de la nature.

De quelle imagination tordue ces arbres sont-ils le fruit ?

De telles trognes sont-elles le fruit d’une imagination capricieuse, de fantasmes délirants d’ancêtres antiques, de rituels païens ou plus simplement de nécessités économiques ? Certains prétendent que les arbres têtards sont apparus au Moyen Age, alors que le droit des paysans à abattre les arbres appartenant à leurs seigneurs était très réduit, et qu’ils n’étaient autorisés qu’à prendre les branches, pour en faire du bois de chauffage, du fourrage ou encore la matière première de certains objets du quotidien. Il semble toutefois que cette technique de maîtrise des arbres soit beaucoup plus ancienne et il ne paraît pas du tout fantasmatique que les hommes préhistoriques l’eussent déjà maîtrisée. Un vestige de chêne têtard a ainsi été retrouvé dans les vases de la rivière de Trent en Angleterre, que la datation au carbone 14 fait remonter à 3400 ans avant notre ère. Pourquoi cette technique si répandue géographiquement ne l’aurait-elle pas été dans le temps, surtout à certaines époques de l’Antiquité où les forêts étaient beaucoup moins présentes en Europe ?

Les trois fonctions de ces arbres-trognes

Outre la fonction économique que nous avons brièvement évoquée, qui a permis au cours des siècles aux paysans, à qui les forêts n’appartenaient pas, de récolter le bois qui leur était utile à toute sorte de choses de la vie courante, les têtards ont une incomparable fonction écologique. De par le traitement un rien brutal qui leur est infligé, en coupant les branches à la base du tronc tous les un à quinze ans selon les espèces, des bourrelets, des cavités, des anfractuosités se développent très souvent dans les troncs, accueillant une biodiversité d’une richesse étonnante. Longtemps, les paysans sont venus, dans le cœur des arbres creux, chercher un terreau particulier qui s’était formé à l’aide des milliers d’insectes, oiseaux et rongeurs qui l’ont habité et que l’on surnomme, en de certains endroits « le sang de la trogne ». Les alignements d’arbres têtards ont ainsi un rôle de corridor biologique, fonctionnant à l’instar des réseaux de haies bocagères, abritant une très riche biodiversité.

Ces arbres, on pourrait aussi leur reprocher de tirer la tronche, de n’être pas spécialement jolis, mais il faut bien se rappeler quel traitement ils subissent et combien ils témoignent de pratiques agro-pastorales ancestrales, qui trouvèrent à se développer largement au Moyen Age. Leur allure, leur trogne, leur port ont inspiré nombre d’artistes et de rêveurs, et l’on n’en croise pas un dans la campagne sans y prêter une attention particulière. Ils sont les marqueurs d’un temps qui nous dépasse ; ils sont témoins de pratiques peu à peu abandonnées mais qui pourraient connaître un nouvel essor, notamment via le courant actuel du néobocage.

Depuis 2002, un Centre européen des trognes a ouvert à Boursay, dans le Loir-et-Cher. C’est dire si on prend leurs tronches au sérieux.

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