30 juil. 2021

Sobriété numérique : entretien avec Axel Hugon, président de Seven Aces

La sobriété numérique est un des enjeux de notre époque pour freiner le réchauffement climatique, et la préoccupation majeure d'Axel Hugon, de Seven Aces.

Sobriété numérique : entretien avec Axel Hugon, président de Seven Aces

Ingénieur en informatique, Axel Hugon préside Seven Aces, société d’assistance et de prestations numériques, très engagée pour une sobriété numérique. En prolongeant les efforts et les actions des principaux acteurs de l’éco responsabilité, tels que l’Ademe, il consacre de plus en plus de temps à expliquer par la pédagogie l'enjeu écologique des technologies numériques actuelles. Réduire notre bilan carbone et endiguer les changements climatiques passe aussi par une maîtrise de nos usages numériques.

Axel Hugon, quel est votre parcours ?

Axel Hugon : Je suis ingénieur en informatique, formé à l’ESILV, spécialisé dans le développement d’applications mobiles. En parallèle, je me suis formé à l’entrepreneuriat en master de management à l’EMLV. J’ai fondé ma société en 2018, et lancé mon activité d’assistance en informatique en 2019, principalement à destination des personnes âgées, que j’accompagne dans les différentes tâches informatiques quotidiennes (PC, imprimante, smartphone, skype, mail, etc.) qui sont compliquées pour elles. J’ai des activités annexes de création graphique pour quelques clients. Mais depuis le début de l’année, j’ai largement développé mon activité autour de la sobriété numérique. 

Comment vous est venu ce désir d'œuvrer à la sobriété numérique ?

A.H. : C’est au contact régulier des clients que je me suis aperçu que la plupart n’avaient pas cette notion de sobriété numérique, ce qui est assez logique, puisqu’ils sont encore en apprentissage, voire en découverte, des outils informatiques. 
Comme bénévole chez Good Planet, j’étais déjà sensibilisé à l’écologie et j’avais envie d’agir pour cela aussi dans mon travail. Le dilemme auquel j’ai alors fait face était de leur faire passer ce message sans pourtant leur compliquer l’apprentissage, étant donné que l’usage des outils informatiques était déjà difficile pour eux. J’ai ainsi commencé à me documenter sur la sobriété numérique et commencé à dispenser des formations à ceux qui y sont tout à fait étrangers. 

Comment mettez-vous cela en place, concrètement ?

A.H. : C’est vraiment une sensibilisation à la base. Par des interventions dynamiques, ludiques et participatives, plus ou moins calquées sur des jeux télévisés, je pose des questions et reviens toujours à une comparaison avec des éléments du quotidien. L’objectif est d’être dans une représentation concrète qui touche directement les esprits, afin que chacun prenne conscience de l’impact de ses pratiques numériques. 
Dans un deuxième temps, je montre et j’explique quelles sont les bonnes pratiques à mettre en œuvre et pourquoi c’est important pour l’environnement. Ce sont généralement des choses très simples, mais qui peuvent avoir un énorme impact. 
Dans un troisième temps, ce que j’appelle l’assistance informatique consistera à montrer et apprendre à mon public comment faire une bonne recherche sur un moteur de recherche ; comment se désinscrire d’un mailing list pour ne plus recevoir d’e-mails indésirables ; comment ajouter dans ses favoris les pages sur lesquelles on se rend souvent, afin d’éviter de générer des requêtes inutiles, etc. Je leur apprends à envoyer des e-mails, à enregistrer leurs données sur un disque dur, à réaliser des impressions, tout en respectant au mieux notre environnement et notre planète. 
Je ne peux pas me contenter d’expliquer ce qu’il faut faire, je dois aussi les accompagner pour qu’ils passent à l’action.

C’est donc désormais la plus grande part de votre travail ?

A.H. : Oui. J’ai plusieurs projets en cours, notamment avec des collectivités pour mettre en place un outil de comptage de flux de données qui servira à sensibiliser la population, sur le même principe qu’un compteur électrique. Aujourd’hui, on peut suivre sa consommation d’eau ou d’électricité, j’aimerais arriver à la même chose avec les données individuelles. Je suis également en contact avec des associations telles que France Nature Environnement Ile-de-France pour la mise en place d’animations de sensibilisation ; je suis en lien avec une école et des lycées pour toucher un public plus jeune. Enfin, je collabore avec des collectivités pour mettre en place des sessions pédagogiques à destination des jeunes et des employés des mairies. 

Quel est concrètement l’impact de nos pratiques numériques ?

A.H. : Pour prendre un exemple simple, par l’envoi de dix mails, vous produisez la même quantité d’équivalent de CO2 qu’en parcourant 1,5 km en voiture. A hauteur de 10 mails envoyés par jour, cela correspond à plus de 500 kilomètres de voiture par an.
Le numérique englobe plusieurs éléments : l’impact sur l’écologie, l’impact social et l’impact sanitaire. Un certain nombre d’études commencent à démontrer qu’il n’est pas très bon pour la santé d’être constamment devant un ordinateur. D’un point de vue écologique, l’utilisation d’un appareil numérique consomme de l’énergie. L’utilisation d’internet et des flux de données génère des requêtes et des données stockées dans des data center. C’est là un des sujets les plus importants. 40% de l’électricité utilisée par un data center l’est uniquement pour son refroidissement. 
C’est un enjeu énorme, non seulement pour la place qu’ils prennent : Microsoft teste depuis 2016 des data center sous l’eau, qui refroidissent plus vite (réduisant ainsi les coûts), mais réchauffent les eaux. Mais aussi pour l’électricité qu’ils consomment : 10% de l’électricité produite en France est consommée par les data center, soit autant qu’une ville de 50 000 habitants. Il faut donc réduire le nombre de données stockées pour amoindrir notre coût énergétique, donc environnemental. 

Quelles sont ces données stockées ?

A.H.: Il s’agit en premier lieu du streaming (musique, vidéos, télévision par internet…), qui générait 80% du trafic internet mondial en 2020 (contre 63% en 2015). Regarder Pulp fiction en 4K est aussi “polluant” qu’envoyer 300 000 mails. Mais le streaming vidéo, ce sont aussi les réseaux sociaux (Tik Tok, Instagram, Facebook…), la VOD, la pornographie… Une vidéo comme “Gangnam style”, qui a été vue plus de 2,7 milliards de fois sur Youtube, représente la consommation d’électricité d’une petite centrale nucléaire. 
Pourtant, les mails sont aussi responsables de grandes dépenses d’énergie. Un mail envoyé (correspondant en moyenne à 20 grammes d’équivalent CO2) est stocké à la fois sur votre serveur et sur le serveur de la personne destinataire (un mail stocké correspond à environ 10 grammes d’équivalent CO2). Tant qu’il n’est pas supprimé, il demeure stocké sur un ou deux serveurs. Certains savent paramétrer leurs boîtes e-mail pour les supprimer des serveurs et les récupérer sur leur ordinateur, mais la plupart des gens conservent leurs messages sur les serveurs, ce qui génère une grosse dépense d’énergie. Et 75% des mails que nous recevons sont des spams, ce qui explique que 60% de nos e-mails ne soient jamais lus. Nous pourrions éviter l’envoi des trois quarts des mails dans le monde. C’est pourquoi il est important de supprimer régulièrement ses messages, de se désabonner des mailing lists, de créer une adresse mail poubelle pour passer des commandes afin d’effacer tout de suite les messages et d’éviter de recevoir des pubs. L’enjeu est énorme. Il y a plus de 300 milliards d’e-mails envoyés chaque jour dans le monde, hors spam !
Une étude a été faite il y a quelques années sur une entreprise de 100 personnes. Sachant qu’un salarié français reçoit en moyenne 58 e-mails par jour, et en envoie 33, les courriers électroniques de cette entreprise sont responsables de l’émission de 13,6 tonnes d’équivalent de CO2 par an, soit autant que 14 allers-retours Paris-New York en avion. Un certain nombre de mails pourraient être évités. La réduction de l’envoi de 10% des courriels de cette entreprise offrirait un gain d’une tonne équivalent CO2, soit un aller-retour Paris New York. 
Outre cela, on peut aborder le sujet des impressions : 25% des documents imprimés sont mis à la corbeille dans les 5 minutes qui suivent et 16% ne sont jamais lus. Réduire de 10% son impression de mails permettrait à l’entreprise type de 100 personnes de sauvegarder 5 tonnes d’équivalent CO2/an.

On peut finalement faire de grandes choses avec de petits riens !

A.H. : Oui, c’est ce qui est porteur d’espoir. On peut chacun réduire conséquemment son empreinte carbone avec de petits gestes qui ne coûtent pas grand-chose. Il faut simplement prendre de bonnes habitudes. Les flux de données consomment beaucoup, mais également l’utilisation des machines. Une journée de travail sur un ordinateur équivaut à un trajet de 9 km en voiture, pour ce qui est des émissions de CO2. Un actif émet 360 kg d’éq/CO2/an rien que pour le numérique, soit l'équivalent de 2400 km en voiture.
Une box internet consomme autant d’énergie qu’une ampoule à basse consommation. Nous n'éteignons quasiment jamais notre box, pourtant, nous n'imaginons pas laisser allumée une ampoule lorsque nous partons nous coucher ou travailler. Il suffit de débrancher sa box la nuit pour diviser sa consommation par deux. Et, de même, penser à la débrancher en partant en vacances. 
Mais la fabrication des appareils est également très énergivore, et il faut compter le transport, car la plupart de nos appareils sont construits au bout du monde. Enfin, tout cela crée des DEEE, Déchets d’Equipements Electriques et Electroniques. C’est pourquoi le recyclage, la seconde main, le reconditionnement sont importants.
Pour fabriquer un kg de puces électroniques, il faut 10 000 litres d’eau. A titre de comparaison, un kg de bœuf demande 16 000 litres d’eau et un kg de céréales 1400 litres. Sans parler de l’extraction des métaux rares utilisés pour la fabrication. 
Avec deux recherches Google, vous consommez autant d’énergie que pour faire bouillir l’eau d’une tasse de thé. Or, selon Google, nous faisons 80 000 recherches à chaque seconde, soit 6,9 milliards par jour. Pour éviter cela, il est possible d’utiliser des moteurs de recherche écoresponsables ou de taper directement l’adresse du site dans la barre de recherche, afin d’éviter des requêtes. Il vaut mieux prendre son temps pour taper correctement une adresse afin d’éviter les redirections. En 2017, les recherches Internet en France ont été responsables de 287 000 tonnes d’eq/CO2, soit 1,5 million de km parcourus en voiture, en un an, juste en France.

Vous donnez beaucoup de chiffres, mais aussi beaucoup de conseils pratiques

A.H. : Oui, il y a de nombreuses choses assez simples à mettre en place dans son quotidien pour réduire son impact numérique et énergétique. Cela peut être par exemple d’installer des multiprises avec un interrupteur, de mettre ses appareils en mode économie d’énergie, d’éteindre sa box quand elle n’est pas utilisée, d’utiliser plutôt la Wi-fi que la 4G, l’éthernet plutôt que la Wi-fi ; limiter le nombre de destinataires dans ses mails ; éviter les images dans ses signatures ; diminuer la cadence d’envoi et de réception des mails ; se relire avant d’envoyer un mail (pour ne pas en renvoyer un juste après) ou d’imprimer un document ; imprimer ses documents avec parcimonie sur du papier recyclé, en noir et blanc, en recto-verso, avec plusieurs pages par feuille… Faire attention au matériel que l’on utilise, etc. 
La sobriété numérique est importante à chacune des étapes, de la fabrication du matériel à son utilisation et au stockage des données. Mon rôle est donc d’accompagner les gens vers ces pratiques, en leur donnant des astuces, non pas pour qu’ils cessent d’utiliser les outils numériques, mais pour qu’ils les utilisent mieux, de manière à rester en harmonie avec notre environnement. Il ne faut pas se priver des nouvelles technologies mais les utiliser à bon escient. 
Il y a un autre vaste sujet, qui vous concerne directement, c’est la place physique qu’occupent les data center. En Europe, on estime à 10 millions de mètres carrés (environ 1400 terrains de football), la place qu’occupent les data center (alors qu’ils ne représentent qu’un tiers des data centers mondiaux). C’est autant de place qui ne sera pas occupée par la végétation : par des forêts, des prairies ou des champs cultivés. Le numérique a un impact énorme sur de nombreux aspects, notamment sur notre environnement, que ce soit directement et indirectement. 
La sobriété numérique ne doit pas faire peur et c’est ma mission ! C’est pourquoi, j’aime comparer les données numériques à des éléments du quotidien qui parlent à tous, dans un cadre ludique et bienveillant.

En savoir plus : www.sevenaces.fr
contact@sevenaces.fr

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