21 juin 2021
Quelle est l’origine des expressions avec le mot bois ?
Parler la langue de bois, toucher du bois ou avoir la gueule de bois : quelle est l’origine de ces expressions qui utilisent le mot bois ?
Il parle la langue de bois, je touche du bois, tu m’as fait un chèque en bois, croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer… De nombreuses expressions populaires et courantes emploient le mot bois et ce n’est généralement pas en termes laudatifs. Pourquoi et comment ces expressions ont-elles été formées ?
Que signifie parler la langue de bois ?
On utilise couramment l’expression langue de bois, surtout quand il s’agit de parler des hommes politiques. Pourquoi dit-on qu’ils manient si bien la langue de bois ? Cette expression se serait imposée en France dès les années 1950 pour désigner les intellectuels, les artistes et les hommes politiques tout dévoués à la cause communiste. On disait alors qu’ils étaient bilingues en langue de bois. Cela s’explique par le fait que l’expression nous a été transmise du russe par la Pologne.
En effet, à l’origine de “la langue de chêne”, pour désigner une manière de parler rigide et pesante, il y a la Russie tsariste et sa bureaucratie pesante, que l’URSS portera plus tard à son paroxysme. Impossible de parler librement sous la férule de Staline, sans être inquiété, et les Polonais en savent quelque chose, c’est pourquoi ils ont traduit cette expression très utilisée à l’époque de Solidarnosc, dans les années 1980, pour désigner la langue figée de l’administration soviétique.
Importée en France, elle sert désormais à désigner tout langage politique ou officiel qui use abusivement d’expressions toutes faites pour ne pas dire les choses. L’Ecole Nationale d’Administration (ENA) a été souvent pointée du doigt comme enseignant à ses élèves l’art du maniement de la langue de bois. Le chêne, qui symbolise le bois, tant dans l’étymologie indo-européenne que dans l’expression en question, est ici pris comme représentation de la rigidité et du manque de souplesse. Certains désignent aussi cette manière de parler sous le terme plus savant et plus snob de xyloglossie (du grec ancien xylon : bois et glossa : langue). Ou quand la langue de bois se fait elle-même langue de bois…
Pourquoi parle-t-on de chèque en bois ?
Faire un chèque en bois, c’est tromper celui à qui on le fait, qui ne pourra pas endosser l’argent que le morceau de papier est censé représenter. Pourquoi le bois paraît-il encore, dans cette expression, le parangon du mensonge et de la fausse-valeur ? C’est qu’au XIIIe siècle, lorsque l’expression “de bois” puis “en bois” a été forgée, le matériau bois était très abondant et n’avait donc pas une grande valeur.
Ainsi le chèque en bois apparaît-il comme un faux moyen de paiement.
D’où vient l’expression Croix de bois croix de fer ?
“Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer.” On retrouve cette expression populaire dans de nombreux romans et films d’autrefois. Un peu passée de mode, elle était courante chez les enfants à l’époque de nos grands-parents. Il semble difficile de retrouver l’étymologie de cette expression populaire, mais on peut parier que le bois et le fer, comme matériaux nobles et précieux, sont gages de vérité tangible. En effet, comme il y eut un âge du fer, il y eut au haut Moyen Age une civilisation du bois, l’un et l’autre ayant eu leurs heures de gloire. Quant au symbole de la croix, il est évident. En ce sens, le bois serait pris dans son acception positive et riche. A moins qu’il soit considéré en opposition à la croix de fer, qui serait, elle, solide et pérenne. Les deux explications se font concurrence.
D’où vient l’expression toucher du bois ?
D’après Stéphane Bern, cette expression selon laquelle on conjure le mauvais sort en touchant du bois, remonte aux origines de la Perse antique. 600 avant notre ère, le bois abritait le feu sacré pour les Perses. Chez les Grecs, Zeus lui-même a le chêne comme attribut, c’est-à-dire le bois le plus noble, tandis que les Égyptiens estimaient que le bois avait un magnétisme particulier.
Quant aux chrétiens du Moyen Age, ils touchaient également le bois de la Croix en signe de dévotion.
De quel bois se chauffe-t-on ?
Il va savoir de quel bois je me chauffe, dit-on lorsque l’on est énervé ou que l’on veut montrer de quoi nous sommes capables. C’est qu’au Moyen Age, lorsque l’expression a été forgée, le bois était, en France, le seul moyen de chauffage et que nous savons que tous les bois n’ont pas la même manière de se consumer et de chauffer. Ainsi, certains bois produisent beaucoup de lumière mais peu de chaleur, tandis que d’autres (le chêne, le charme) dégagent une forte chaleur. Montrer de quel bois on se chauffe, c’est faire réaliser à l’autre si l’on est capable d’une puissante colère ou seulement d’un feu de paille...
Quand le bois n’a pas bonne presse
Avoir une jambe de bois, utiliser un sabre de bois, présenter un visage de bois ou une tête de bois, c’est-à-dire se montrer insensible… Autant d’expressions dans lesquelles le bois est pris comme métaphore de ce qui n’a pas vraiment de valeur, ou la valeur d’un jouet, d’un colifichet.
Mais le bois est encore employé dans plusieurs expressions actuelles ou quelque peu démodées, qui ne le mettent pas à l’honneur. Ainsi parle-t-on de trompettes de bois pour ce qui est inaudible, d’heures de bois pour des heures travaillées non payées, qui nous ramènent à notre chèque en bois.
On dit encore d’une personne qu’elle est restée de bois lorsqu’elle n’a manifesté aucune réaction. On dit que l’on a trouvé visage de bois ou porte de bois pour dire que l’on est resté sans réponse ou que l’on a trouvé porte close.
Une belle expression qui est aujourd’hui moins en vogue est “déménager à la cloche de bois”. Cela signifie que l’on a quitté son logement sans avertir ni payer.
Avoir des dieux ou des idoles de bois, c’est encore avoir de faux dieux, tandis que celui qui a la gueule de bois est abruti par l’excès d’alcool.
Pourquoi notre langue ne met-elle pas le bois à l’honneur ?
Au bout du compte, une grande majorité d’expressions de notre langue qui emploient le mot bois ne le mettent pas spécialement à l’honneur. Cela, en bonne partie parce que ces expressions ont été forgées à une époque où le bois était monnaie courante, servait à tout et, après avoir connu son âge d’or, ne jouissait plus des faveurs de l’aristocratie. C’est à la fin du Moyen Age que bon nombre d’expressions de la langue française furent forgées et le bois délaissé pour la pierre et les dorures. Aujourd’hui, nous retrouvons la vraie valeur du bois et sans doute nos petits-enfants jouiront-ils d’une langue imagée dans laquelle le produit des arbres sera davantage mis à l’honneur.