13 nov. 2019
La plante, cette grande inconnue ?
Pour le botaniste Francis Hallé, en comparaison des animaux, les plantes sont à la fois méconnues et mal aimées.
Selon le botaniste Francis Hallé, en comparaison des animaux, les plantes sont à la fois méconnues et mal aimées. Nous ne sommes qu’aux balbutiements de la science botanique ; alors que, dans le même temps, les forêts primaires sont en train de disparaître.
Une partie des 24 000 planches de croquis du botaniste Francis Hallé, inventeur du Radeau des cimes, est exposée à la Fondation Cartier. A cette occasion, celui-ci plaide pour une meilleure compréhension et observation des plantes, trop déconsidérées et si mal connues.
Prenant le vocabulaire pour appui, celui-ci nous rappelle combien méprisante est notre conception des plantes, comparée à celle que nous avons du règne animal. Ainsi les termes « légume », « état végétatif » ou « se planter » sont-ils employés de manière péjorative, lorsque nous les appliquons à l'un de nos congénères. Il estime que nous vivons toujours dans une forme de préjugés à l’égard du monde végétal façonnés par Aristote qui distinguait trois sortes d’âmes : intellectuelle pour l’homme, sensitive pour les animaux et végétative pour les plantes. Nous manquons par ailleurs cruellement de vocabulaire spécifique pour décrire les différentes parties des plantes et des arbres, parlant de pieds, de tronc, de tête, de veines, etc, autant de mots adaptés aux êtres de chair et de sang.
Les plantes ont une forme d’intelligence
Etudiant depuis des décennies le fonctionnement des plantes, Francis Hallé en est convaincu : les plantes ont une forme d’intelligence adaptative et de mémoire. Car les plantes sont capables de résoudre les problèmes auxquels elles doivent faire face, notamment dans une lutte pour leur survie et leur bien-être. Elles sont en capacité d’apprendre et de mémoriser certaines choses. La passiflore, qui est une petite liane, est ainsi capable d’anticiper le déplacement d’un tuteur pour tendre une vrille qui lui permettra de s’y accrocher. De la même manière, explique-t-il, les sensitives, qui sont des plantes dont les feuilles se replient lorsqu’on les touche, auront tout d’abord ce réflexe si on les place sur un balcon où la pluie les touchera pour la première fois. Toutefois, ayant compris, assez vite, que la pluie leur est bénéfique, elles cesseront de replier leurs feuilles. Et même si on les rentre à l’intérieur où aucune pluie ne retombera sur leurs feuilles, plusieurs années après, elles se rappelleront, en étant de nouveau mises en contact avec la pluie, qu’elles n’ont pas besoin de replier leurs feuilles. Alors même qu’elles auront depuis lors perdu toutes les feuilles qui avaient expérimenté la première pluie. C’est donc que la plante a gardé en mémoire ce phénomène qui lui est bénéfique.
Les arbres se connaissent les uns les autres
Un autre exemple de « l’intelligence » des plantes, notamment des arbres, est le phénomène de la timidité que Francis Hallé lui-même a démontré. Certains cessent de pousser pour ne pas gêner leurs congénères et que leurs feuilles ne se touchent pas. Mais on peut encore prendre l’exemple des cyprès qui échappent aux incendies dans la région de Valence en Espagne. La science a prouvé que si les cyprès ne brûlaient pas, au cours des incendies récurrents qui ravagent cette région de l’Espagne, c’était parce que, lorsque la température autour de l’arbre atteignait les 60°C, le cyprès relâchait dans l’atmosphère tout ce qu’il contenait de combustibles jusqu’à n’être plus « qu’un sac d’eau » ininflammable. Et les cyprès voisins de dégazer à leur tour, avant même d’avoir senti la chaleur.
Tous ces mécanismes, les arbres en particulier, les plantes en général, sont capables de les mettre en place pour leur survie, ce qui prouve qu’ils ont en eux-mêmes une forme d’intelligence. Enfin, Francis Hallé reprend certaines des thèses de Peter Wohlleben dont, dit-il, le seul défaut du best-seller La Vie secrète des arbres est l’anthropomorphisme : il existe d’étonnants phénomènes de solidarité entre les arbres, qui peuvent se nourrir et maintenir en vie grâce à leur système racinaire complexe et « solidaire ». Last but not least, les arbres sont capables de reconnaître leur descendance. Lors de sa croissance racinaire, un hêtre croise tout un tas de petits hêtres qui poussent. Il est capable de distinguer ceux qui procèdent de ses graines et ceux qui ont un autre patrimoine génétique. Jamais le hêtre n’entrera en compétition avec ses propres « enfants », ses racines s’écarteront de lui, tandis qu’il ne sera pas de même de celui qui a eu l’outrecuidance de chercher à pousser sur ses terres en ne procédant pas de sa génétique.
Vraiment, nous n’avons pas fini d’en apprendre sur les arbres et les plantes ! Mais le botaniste nous met en garde : selon lui, les forêts primaires auront disparu d’ici à 2030, si nous continuons à ce rythme.