9 sept. 2024

Approche critique de notre méthodologie carbone par le WWF

Le WWF a analysé notre méthodologie de quantification du carbone dans les forêts. Nous discutons ici certains points relevés par ses experts.

Approche critique de notre méthodologie carbone par le WWF

Le WWF a publié un rapport intitulé "Estimer l’impact carbone d’un projet forestier. Analyse des approches existantes et recommandations." Ce rapport est un élément inédit et important qui a “pour objectif d’aider à estimer et valoriser de façon crédible l’impact carbone dans des transactions de type PSE (Paiements pour Services Écosystémiques).” A cette fin, l'ONG a passé au crible 9 systèmes, 9 méthodes et 5 outils utilisés pour estimer l’impact carbone d’un projet forestier. C’est ainsi que la méthodologie de quantification du carbone dans les écosystèmes forestiers créée et régulièrement mise à jour par EcoTree a été analysée. Au regard des critères d’évaluation, elle est jugée de façon très positive, nous nous en réjouissons. Les rapporteurs ont aussi souhaité attirer notre attention sur quelques points susceptibles d’amélioration. S'ils sont fondés, ils méritent néanmoins discussion. Dans un souci de transparence, d’amélioration et par goût du débat scientifique, nous les discutons ici.

Notre méthode carbone est en libre accès

Chez EcoTree, nous avons toujours souhaité jouer la transparence et que nos travaux de recherche et de développement soient mis au service du bien commun, c’est pourquoi notre méthodologie de quantification du carbone est, depuis le début, en libre accès sur notre site internet. Elle est, par ailleurs, facilement accessible et compréhensible même par des non scientifiques. Cette qualité a été remarquée et mise en avant par le rapport du WWF qui note que l’accès à l’information est simple. 

Arnaud De Grave, qui est le cheville ouvrière de notre méthodologie de quantification carbone et qui a très largement contribué à sa diffusion explique : “j’ai toujours insisté pour que nos travaux soient en open source et en open data car c’est dans ma façon d’aborder les choses : les problèmes climatiques actuels nous concernent tous et nous avons tout intérêt à unir nos forces plutôt qu’à les disperser. Par ailleurs, je ne rejette jamais aucune demande d’éclaircissement ou de discussion sur les méthodes ou les outils que je développe.”

Un manque de consultation publique de notre part ?

Un point d’amélioration nous concernant qu’évoque le rapport du WWF est le suivant : 
Certains systèmes et méthodes font appel de manière variable à des experts, à la consultation publique, et à un audit des méthodes par un bureau certificateur. EcoTree et Reforest’Action ont présenté leur approche à un panel d’experts ; sans liste ni compte-rendu sur les modifications intégrées publiquement disponibles, il est difficile de statuer sur la solidité de l’expertise des personnes sollicitées et sur sa prise en compte. Leur méthodologie carbone est auditée par Bureau Veritas qui accompagne le processus de validation.

Bureau Veritas, qui a audité notre méthode, l’a discutée et l’a validée, a publié sur les réseaux sociaux la liste des membres y ayant participé. Cette liste n'est d'ailleurs pas exclusive puisque d'autres participants, membres d'associations, y ont participé sans souhaiter être mentionnés pour garder une certaine indépendance. La liste ayant donc été rendue publique, nous n’avons pas jugé utile (peut-être à tort) de la mentionner en annexe de la méthode. 

Pour ce qui concerne les changements d’une version à l’autre, ils sont listés en annexe de la méthodologie, certes de manière succincte, mais nous veillerons à les rendre plus clairs dans les versions ultérieures et nous pouvons produire sur demande tous les documents nécessaires.

Enfin, nous nous sommes efforcés à ce que le jury qui a validé notre méthodologie soit tout sauf un jury de complaisance, en prenant soin de ne pas la faire vérifier par des gens de notre réseau.

Quant à nos forêts, elles font l’objet d’une vérification quinquennale par un expert forestier indépendant, qui ne gère pas nos forêts ni ne valide nos itinéraires forestiers. Ses rapports peuvent être produits sur demande. Enfin, nous rédigeons volontairement chaque année un rapport d’activité détaillé que nous envoyons à tous nos partenaires et clients et qui est consultable en ligne

Notre méthode ne serait adaptable qu’au reboisement

Le rapport du WWF explique également que “la quasi-totalité [des méthodes présentées] est spécifique à un itinéraire technique : souvent principalement la plantation (méthodes Boisement et Reboisement du Label Bas Carbone, EcoTree, Gold Standard, Reforest’Action)”.

Il est vrai qu’au moment où notre méthodologie a été examinée, il s’agissait de son avant-dernière mouture. Or, dans la dernière, nous proposons une manière de comptabiliser le carbone additionnel en changeant de mode de sylviculture, c’est-à-dire en passant, sur des forêts déjà existantes, d’une gestion sylvicole régulière à une gestion irrégulière, conversion que nous réalisons sur la majeure partie des forêts sur pied que nous gérons, qui représentent elles-mêmes près de la moitié de nos actifs. Cela étant dit, il nous paraît difficile de modéliser les forêts autrement que par des itinéraires techniques, sauf à faire une estimation très approximative ou bien à TOUT mesurer, ce qui est impossible. Notre méthode actuelle couvre donc tout type de peuplement, y compris les conversions, avec les limites connues et mentionnées ci-dessus. 

Ne pas estimer le carbone du sous-étage et du sol ?

Le carbone du sous-étage, des racines, de la litière et la matière organique du sol ne peut que difficilement être estimé de manière fiable et varie peu, sauf exception ou gestion caricaturale, sur la période généralement considérée pour les projets forestiers (additionnalité faible à nulle sur 30 ans). L’estimation de ces compartiments ne présente dans notre contexte qu’un faible intérêt, même s’ils sont importants dans l’écosystème forestier”, est-il écrit dans le rapport du WWF qui reconnaît que “la biomasse du sous-étage est recommandée par EcoTree mais non implémentée.

Le WWF estime qu’il est facultatif d’estimer la biomasse du sous-étage, la biomasse racinaire et celle de la litière et de la matière organique du sol, ce carbone étant considéré comme peu additionnel et ses estimations peu fiables.

Pour ce qui concerne le calcul de ce carbone, nous suivons la méthode et les recommandations du Label Bas Carbone en n’incluant pas explicitement le carbone du sous-étage. Pour ce qui concerne la partie racinaire, les équations qui sont utilisées semblent acceptées et assez solides pour ne pas donner lieu à des “estimations peu fiables”. Elles proviennent de l’article de Cairns et al. (Cairns, M., Brown, S., Helmer, E., and Baumgardner, G. (1997). Root biomass allocation in the world's upland forests. Oecologia, 11(1):111.) qui n’a pas été remis en cause, à notre connaissance.
Pour le carbone du sol, ce sont en revanche des estimations (nous le reconnaissons, encore une fois cela vient de la littérature avec Arrouays, D., Balesdent, J., Germon, J.-C., Jayet, P.-A., Soussana, J.-F., and Stengel, P. (2002). Stocker du carbone dans les sols agricoles de France ? (expertise scientifique collective) INRA. Tiré des méthodes du Label Bas Carbone) mais qui ne sont pas prises en compte sauf dans le cas d’un boisement sur terre agricole où l’on passe de 45 tC/ha à 70 tC/ha via une exponentielle inverse. Nous calculons qu’il faut environ 300 ans pour se rapprocher des 70 tC/ha, ce qui semble cohérent et ne surestime pas le stock additionnel. Le sol est un élément très complexe à appréhender et nous suivons avec attention les diverses études sur le sujet.

Comment modéliser le stock de carbone dans la litière ?

Peu de systèmes ou méthodes estiment et modélisent le stock de carbone dans la litière. Les méthodes du Label Bas Carbone et EcoTree utilisent une valeur d’équilibre par défaut, telle que le préconisent Arrouays et al. (2002). Cette valeur est supposée atteinte dès le démarrage du projet pour la méthode Balivage du Label Bas Carbone ; elle ne sera atteinte qu’au bout de 30 ans puis à l’équilibre par la suite dans les méthodes Boisement et Reboisement du Label Bas Carbone et d’EcoTree. Cette hypothèse semble curieuse et peu fondée dans le cas du reboisement, sauf à concevoir que la méthode Reboisement consiste à planter après suppression totale de la litière et des rémanents, puis le labour et la déstructuration de la surface du sol de la parcelle (monoculture intensive).

C’est un sujet sur lequel nous reconnaissons pouvoir améliorer notre méthode. 
Si nous avons choisi de plafonner le stock de carbone dans la litière après 30 ans, c’est pour ne pas comptabiliser trop de carbone, mais il faut reconnaître que nous n’avons que très peu d’éléments pour comptabiliser ce stock additionnel après 30 ans. 
Ces calculs ne fonctionnent en effet que sur du boisement de terre agricole ou de pâturage ou à la suite d’une coupe rase assez mal réalisée qui aurait laissé un sol nu et endommagé, ce qui est généralement le cas des parcelles que nous reprenons : de la coupe rase post épidémie de scolytes qui a laissé le sol sans litière, mais souvent avec des rémanents de coupe (bois mort).

Nous pourrions effectivement améliorer nos explications concernant les différents scénarios envisagés. 

Pour ce qui est de l’irrégularisation de peuplement déjà existant, nous travaillons encore sur le modèle. Un des éléments évités, lors de l’absence de coupe rase est la destruction de la litière. Mais il y a évidemment d’autres impacts que que la litière en cas de coupe rase. Nous essayons donc de quantifier le carbone qui demeure, mais pour l’instant les chiffres nous font défaut. C’est pourquoi nous remettons la litière à zéro mais pas le sol, qui est conservé à 70 tC/ha, ce qui est discutable et dont nous sommes tout à fait prêts à discuter. Ceci étant dit, notre politique en matière de méthode est de rester le plus conservateur possible lorsque nous n’avons pas d’éléments.

Comment calculer l’évolution du carbone dans la référence ?

Pour les méthodes du Label Bas Carbone et EcoTree, l’évolution du carbone dans la référence se fait par stock de carbone, selon les méthodes et le type de scénario de référence.
Les modélisations concernent exclusivement l’évolution de la biomasse aérienne (la biomasse racinaire en dépendant) : pour la méthode Balivage du Label Bas Carbone, il s’agit de la modéliser à partir de la table de production du taillis ; pour les méthodes Boisement et Reboisement du Label Carbone, ainsi que pour EcoTree dans le cas d’une colonisation naturelle, il est estimé un accroissement égal à seulement 1 m3 / ha/an (et 0,5 m3 /ha/an pour les GRECO Méditerranée et Corse pour le Label Bas Carbone ; plafonnée à une valeur stationnaire de 75 m3 /ha atteinte au bout de 75 ans pour EcoTree). Ce chiffre faible semble très discutable.

Le chiffre de 75 m3/ha atteint au bout de 75 ans a été choisi “à dire d’experts” et c’est le meilleur chiffre que nous puissions produire à ce jour. Il n’était plus question de s’arrêter à 30 m3/ha comme nous le faisions à tort dans l’une des versions précédentes de la méthodologie. Il est néanmoins évident que nous pouvons affiner nos modèles en la matière car nous ne faisons pas la différence entre un enfrichement de feuillus et de résineux autrement qu’en prenant une moyenne de coefficients. C’est largement discutable mais il est extrêmement difficile de modéliser la façon dont une forêt se met en place. 

L’estimation de l’impact carbone ne devrait pas dépasser 30 ans ?

L’estimation de l’impact carbone doit s’effectuer sur une période ne dépassant pas 30 ans, durée au-delà de laquelle la fiabilité d’estimation des risques de non-permanence est trop élevée. Par contre, la durée du projet et la permanence du stockage du carbone séquestré par le projet doit être au minimum de 20 ans et si possible plus longue que 30 ans.

Il est évident que l’on ne peut prédire ce qui arrivera après 30 ans. Néanmoins, le concept même du SMLT (Stock Moyen-Long Terme) pour la forêt en SMCC (Sylviculture Mélangée à Couvert Continu) est fondé sur le principe de permanence. 

Ainsi, comme le dit Arnaud De Grave “si dans 30 ans, nous sommes loin d’atteindre le stock de carbone estimé, c’est que nous ferons face à d’autres problèmes d’un ordre beaucoup plus grave !”

Le risque de non permanence ne pourrait être résolu uniquement par la décote, ce qui nous paraît pour le moins très scientifiquement discutable (comment choisir ce pourcentage de décote ?), ou par la mise en place de buffers qui sont difficiles à développer à petite échelle et qui relèvent d’un problème de gestion des risques des capitaux, non de sylviculture. 

Enfin, si nous portons nos estimations à cent ans, c’est aussi pour des raisons pédagogiques, afin d’exprimer ce “temps long des forêts” et que tous aient bien en tête qu’on ne boise ou reboise pas pour trois décennies. 

L’approche SMLT n’est pas un plus mais une obligation

Les méthodes du Label Bas Carbone et EcoTree proposent également de faire la différence de Stock Moyen de Long Terme (SMLT) des deux scénarios. [...] Pour une estimation précise de l’impact carbone brut additionnel, il est recommandé de soustraire les impacts carbone brut des scénarios de référence et du projet. L’approche SMLT est un plus.

A notre sens, le SMLT n’est pas un plus mais une obligation, il n’y a que ce concept qui représente de façon juste la permanence de la forêt face à ceux dont l’approche consisterait à envisager la forêt comme une somme d’arbres. C’est un concept dont l’apprivoisement nous a demandé du temps et qui a très largement occupé l’esprit d’Arnaud De Grave ! Les différentes versions de la méthodologie le prouvent et l’adaptation du concept du SMLT à la futaie irrégulière est une prise de position originale que nous avons à cœur de défendre. 

Quelles vérifications documentaires et de terrain pour EcoTree ?

Le pas de temps de 5 ans, couramment adopté par les systèmes ou méthodes analysés, semble le bon pour suivre la mise en place d’un projet."

Le rapport du WWF met en valeur la fréquence à laquelle nous souhaitons que des experts indépendants se rendent dans nos forêts pour y effectuer des vérifications in situ. Une vérification quinquennale est effectivement ce que nous souhaitons et nous l’avons inscrite dans la dernière version de notre méthodologie. 
Ces experts n’ont pas encore été choisis, mais ils seront sélectionnés par notre tiers certificateur en toute indépendance. A la lumière de ces avis extérieurs, nous pourrons ajuster les estimations du carbone additionnel séquestré ou vendu, en suivant les préconisations du WWF. 
Ces vérifications de terrain seront aussi et autant que possible réalisées en interne, afin de confronter nos modèles au terrain, ainsi améliorer constamment nos méthodologies.

Conclusion

Nous sommes non seulement honorés que le WWF ait intégré notre méthode de quantification du carbone dans son document critique qui donne un très bon aperçu des méthodes existant à ce jour sur le marché français, mais aussi heureux que ses experts continuent une critique constructive de nos travaux, dans un esprit de saine émulation. 
L’action quotidienne en forêt appelle à l’humilité. C’est aussi dans cet esprit que s’inscrivent nos travaux de recherche et développement, parmi lesquels nos méthodologies carbone constamment améliorées par des discussions avec des experts, des chercheurs, ou des organismes comme WWF. Nul doute que cette étude nous permettra d’affiner nos calculs et mènera à une version future de la méthodologie. Nul doute non plus qu’elle contribuera de la sorte à légitimer la démarche de séquestration du carbone en forêt qui doit s’inscrire dans une vision plus large : celle de la lutte contre le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité, et des efforts consentis pour éviter le désastre à venir.

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