16 nov. 2023
Plan national de renouvellement forestier : ne pas se tromper de cible !
Le gouvernement prépare un plan national de renouvellement forestier dans la continuité de France Relance, nous l’appelons à prendre la pleine mesure du sujet.
Dans la continuité des Assises de la Forêt, un groupe de travail a rendu des propositions au ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, afin de compléter la mission d’inspection de la première ministre Elisabeth Borne. S’il est évident qu’il faut agir pour accompagner les forêts françaises dans leur adaptation aux dérèglements climatiques et dans la structuration de la filière forêt-bois, tâchons de ne pas nous tromper de cible.
Un nouveau FFN ? La fausse bonne idée
Pour certains propriétaires forestiers, acteurs de la filière ou hommes politiques, le Fonds forestier national (FFN) conserve l’image d’une époque dorée malheureusement révolue. Pourtant, si ce fonds, né dans un élan de reconstruction en 1946, a permis de reboiser un pays abîmé par la guerre, c’est aussi à lui que l’on doit une grande partie des plantations forestières qui souffrent aujourd’hui. Le “plan d’enrésinement de la France”, comme il a été surnommé, n’a pas eu que des bénéfices. Développement de la monoculture, essentiellement résineuse, des rotations courtes coupes à blanc/plantations et d’une gestion en futaie régulière qui n’a pas réellement pris en compte la problématique de la biodiversité, cette politique a donné certains fruits gâtés que nous cueillons aujourd’hui, comme les plantations d’épicéas dans les plaines qui souffrent de la sécheresse, du réchauffement climatique et par conséquent des épidémies de scolytes typographes.
Bien entendu, il est facile de juger a posteriori aussi ne cherchons-nous pas à condamner le passé à l’aune de ce que nous savons aujourd’hui mais à l’analyser pour ne pas reproduire d’erreurs similaires.
Les chiffres actuels sont éloquents (la mortalité des arbres a augmenté de 80% en dix ans), une partie de la forêt française dépérit et le stock de carbone sur pied diminue depuis plus d’une décennie, si bien qu’on en arrive logiquement à se demander si la forêt jouera encore son rôle de puits de carbone dans les années à venir ou sera, au contraire, un poste d’émission de CO2.
Quelles sont les solutions envisagées ?
Les préconisations du gouvernement ne sont pas encore connues mais la presse a d’ores et déjà laissé filtrer quelques informations. Il serait ainsi envisagé de mettre en place des procédures pour identifier les propriétaires privés (sans doute 2 à 3 millions) qui ne gèrent pas leurs bois et soit les inciter à former des groupements forestiers pour mutualiser les efforts soit à autoriser un droit de préemption (pour qui ? quelle structure aurait les moyens de gérer ces millions d’hectares de forêt ?) ou encore à augmenter l’impôt foncier de leur bien.
Certes, nous comprenons le casse-tête auquel se trouve confronté l’Etat français soucieux d’inciter les plus de 3,5 millions de propriétaires français qui détiennent les trois quarts de la superficie forestière à la gérer en tenant compte du réchauffement climatique et des défis auxquels nous sommes confrontés. Mais pourquoi ne pas tenter d’inverser le regard et de libérer leur désir de gérer leurs bois plutôt que de chercher des moyens de coercition qui risquent d’avoir l’effet inverse de celui escompté ?
Le morcellement de la forêt est-il une épine dans le pied de la France ?
Le morcellement de la forêt, puisque c’est de cela qu’il s’agit, est-il une épine dans le pied de la France ? Confrontés à la même problématique, les Norvégiens en ont fait une force en n’uniformisant pas la gestion forestière selon un seul principe mais en libérant les possibilités de la gestion privée. La diversité et la multiplicité des gestions sylvicoles en France peut être véritablement bénéfique. Voudrait-on d’un seul grand conglomérat qui gérerait les forêts françaises de façon industrielle comme on peut le voir dans les Landes ou dans le Morvan ? Et si justement l’absence de concentration de la richesse patrimoniale entre les mains de quelques-uns nous prémunissait du poids des lobbies ?
Libérer le marché pour atteindre un cours du bois décent
Le problème est bien celui-ci : y a-t-il un lobby pour manier l’embarcation ?
En France, le cours du bois est globalement resté stable depuis les années 1960. Quelle autre filière peut en dire autant ? Le prix de l’immobilier est-il resté constant ? Celui des minerais ? Du ciment ? De même, la valeur des forêts évolue très lentement (sinon pour les forêts de plus de 100 ha), si bien qu’un hectare de forêt vaut à peu près quatre fois moins cher en France qu’en Allemagne et que les ventes de forêts en France sont encore faibles. Les forêts allemandes seraient-elles plus performantes ou de meilleur rapport que les nôtres ? Non, au contraire, la diversité de nos forêts est bien supérieure mais la filière forêt-bois allemande est beaucoup mieux organisée. Elle est d’ailleurs rentable et excédentaire, alors que la nôtre est déficitaire.
L’essor de la filière française est aujourd’hui contraint par deux freins majeurs
L’essor de la filière française est aujourd’hui contraint par deux freins majeurs : la puissance de la FNB, le syndicat des scieurs qui a l’oreille du gouvernement, et le poids des ventes de bois de l’ONF qui servent les intérêts de certains scieurs français au détriment des propriétaires forestiers (de même que dans l’agriculture ce ne sont pas les producteurs qui fixent leurs prix mais ceux qui achètent leurs produits, le propriétaire forestier est contraint de s’adapter au cours fixé par les scieurs).
Alléger la mise en place de documents de gestion durable pour les petits propriétaires forestiers, comme semblent le proposer les auteurs du rapport, est certes utile mais pas suffisant. Les forêts publiques, gérées par l’ONF, qui représentent 25% de la surface forestière française, sont à l’origine de la moitié de la production de bois en France. Ainsi les propriétaires privés et particulièrement les petits propriétaires commercialisent-ils très peu leur bois. Non par mauvaise volonté mais parce que ce n’est pas rentable. Et l’ONF mettant chaque année sur le marché du bois la moitié de la production française a les moyens de peser sur son cours. Si bien qu’on peut se demander si celui-ci n’est pas maintenu artificiellement bas pour favoriser les scieries françaises, rendant de fait impossible la gestion de leurs bois aux petits propriétaires privés. (Comment explique-t-on sinon le prodigieux endettement de l’ONF malgré les plans sociaux qui se sont succédé ces dernières années, contredisant le vieux dicton selon lequel le bois paie la forêt ?)
Le problème fondamental de la forêt française est qu'il n’est guère rentable pour les propriétaires de gérer leurs bois
Le problème fondamental de la forêt française aujourd’hui est donc celui-ci : il faudrait lui administrer un mode de gestion durable, mais il n’est guère rentable pour les propriétaires de gérer leurs bois. Dans Les Echos, Antoine d’Amécourt, le président de Fransylva, affirmait en 2016 : “Alors qu’en 1960 il fallait consacrer 20 % de la recette d’une coupe pour assurer le reboisement, cette part est passée à 80 % en 2015. Il est donc fondamental que la production de bois soit rémunérée à sa juste valeur. Dans le cas contraire, les forestiers ne sont plus incités, ni à gérer ni à renouveler”.
Serait-ce à l’Etat de subventionner les propriétaires forestiers pour qu’ils accompagnent leurs forêts ? C’est impossible et ce serait absurde.
Privilégier la régénération naturelle
Si l’Etat a un rôle à jouer dans l’adaptation des forêts françaises au changement climatique, c’est sans aucun doute en mettant en valeur la gestion durable et peut-être en incitant d’une manière ou d’une autre à privilégier ce mode de gestion. Qui dit gestion durable dit privilégier une sylviculture mélangée à couvert continu telle que Pro Silva et nombre d’experts forestiers la pratiquent, avec les co-bénéfices qui en découlent notamment pour la biodiversité.
Le brassage génétique est l’une des clés de l’adaptation des espèces
A l’inverse des coupes rases qui appauvrissent les sols et obligent généralement à replanter, le maintien d’un couvert forestier permet de favoriser la régénération naturelle, c’est-à-dire la pousse de jeunes arbres sous le couvert des arbres semenciers. Même si ce genre de gestion forestière a un coût, il est largement contrebalancé par les économies faites sur les plantations et permet de développer la résilience des forêts par l’adaptation génétique. En effet, d’où viennent les plants mis en terre après une coupe à blanc ? Ils viennent tous de quelques pépinières dont les graines ont été sélectionnées selon un cahier des charges très strict. Ce qui signifie qu’en France les arbres qui sont plantés viennent peu ou prou d’une poignée de souches. Or, le brassage génétique est l’une des clés de l’adaptation des espèces, nous le savons au moins depuis Darwin.
Ainsi, si les plants issus de pépinières permettent d’adapter les plants au réchauffement climatique plus rapidement que la migration naturelle des arbres vers le Nord, les jeunes plants issus de la régénération naturelle ont un patrimoine dont l’avantage est d’être déjà en cours d’adaptation aux conditions propres à leur environnement.
C’est dans ces conditions également que la biodiversité des forêts est favorisée. La France a l’immense chance d’avoir les forêts les plus variées d’Europe : 170 essences quand les pays de l’Est et du Nord n’en comptent que quelques dizaines. Il faut également que les scieries adaptent leurs outils à la diversité de ces essences qui peuvent toutes être valorisées. Trop longtemps, on a cherché à adapter les forêts à l’outil industriel, plutôt que l’inverse. Favorisons la nature, elle nous le rendra bien ! C’est sur cela que nous souhaitons attirer l’attention du gouvernement français.