Dans toutes les mythologies, nous retrouvons l’idée d’une forêt originelle. La forêt «primaire», «vierge» et «sauvage» aurait préexisté aux hommes.
La datation au carbone 14, la résonance paramagnétique électronique et la dendrochronologie remettent en cause le mythe d’une Terre couverte de forêts.
Si notre ancêtre est le singe, c’est un ancêtre vraiment très éloigné. L’homme de Cro-Magnon, qui nous précède dans l’Histoire, vivait dans des zones de steppes et de toundras peuplées de bisons, d’aurochs et de rennes où il n’y avait donc pas d’arbres. Il aura connu la dernière glaciation, qui prit fin de 14 000 à 10 000 ans avant notre ère.
Dans la Grotte Chauvet, où l’on trouve les plus anciennes peintures rupestres de France (- 36 000) sont représentés des ours, des mammouths, des rhinocéros laineux, des aurochs, des rennes, des félins, des chevaux, des bisons et des mégacéros. Ces espèces animales ne vivaient pas dans les forêts, mais dans de vastes plaines ouvertes. On suppose que le mégacéros, le plus grand cervidé de tous les temps, s’est retiré du continent à mesure que les forêts avançaient depuis le Sud, trouvant refuge en Irlande et en Grande-Bretagne avant que la calotte glaciaire fonde. De même, le lion des cavernes aurait disparu environ 14 000 ans avant notre ère, ses proies ayant disparu.
La nature a horreur du vide, comme nous le savons. Sitôt la calotte glaciaire retirée, les plantes puis les arbres se firent leur place au soleil. Sitôt ? Cela prit tout de même quelques millénaires. À la dernière glaciation suivit une période de réchauffement, de fonte des glaciers et d’augmentation de l’humidité.
De - 8 000 à - 7 000, les bouleaux et les pins remplacèrent les lichens et les mousses. On appelle ces arbres des espèces pionnières.
De - 6 800 à - 5 500, le développement des noisetiers et des chênaies mixtes fut largement favorisé par une période plus chaude et plus sèche.
À partir de - 2 500, les hivers plus froids et humides permirent l’établissement d’essences d’ombre et d’humidité telles que le hêtre et quelques conifères (épicéas, sapins, ifs).
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- 8 000 à - 7 000
De - 8 000 à - 7 000, les bouleaux et les pins remplacèrent les lichens et les mousses. On appelle ces arbres des espèces pionnières.
- 6 800 à - 5 500
De - 6 800 à - 5 500, le développement des noisetiers et des chênaies mixtes fut largement favorisé par une période plus chaude et plus sèche.
À partir de - 2 500
À partir de - 2 500, les hivers plus froids et humides permirent l’établissement d’essences d’ombre et d’humidité telles que le hêtre et quelques conifères (épicéas, sapins, ifs).
On peut parler de forêts naturelles, puisque les hommes ne sont pas ou peu intervenus dans leur développement, ayant encore un mode de vie nomade de chasseurs, cueilleurs, pêcheurs, bien que la sédentarisation fût en cours.
Il n’existe pas de définition scientifique d’une forêt vierge ou primaire, si bien qu’il faut manier ces concepts avec précaution. D’abord, il est impossible de dire d’une forêt qu’elle serait tout à fait vierge de toute présence humaine. Même les forêts d’Amazonie, en apparence les plus inextricables, recouvrent de très anciennes traces de civilisations. Si on définit une forêt primaire comme la première des forêts installées avant une éventuelle modification des hommes, alors l’homme de Cro-Magnon connut l’installation des forêts primaires en Europe. Mais celles-ci ne restèrent pas longtemps en leur état sauvage.
Pour ainsi dire, les forêts occidentales n’ont jamais été vraiment vierges et assez peu primaires.
En effet, à partir du Néolithique (entre 6 500 et 4 700 av. JC pour l’Europe occidentale),
C’est-à-dire que concomitamment à l’arrivée des forêts par le Sud de l’Europe, les populations humaines s’y taillèrent des prairies et des champs pour mettre en place l’élevage et l’agriculture, techniques qui leur parvinrent lentement des civilisations du croissant fertile et de la Mésopotamie.
Le développement de la hache en pierre polie permit d’abattre des arbres. Dans le même temps, les hommes commençaient à préparer les sols pour les semis.
Profitant de zones de faible couverture forestière, les hommes étendent clairières et prairies, espaces de culture et de pacage.
Ainsi peu à peu, les plantes autochtones sont remplacées par des variétés cultivées ou adventices.
Plante non semée, souvent considérée comme de la mauvaise herbe
Les hommes introduisent notamment les céréales, la chèvre, le mouton et le bœuf.
Il est intéressant de noter que la sédentarisation a été rendue possible par la maîtrise de nouvelles techniques, mais qu’elle a, dans le même temps, été forcée par l’arrivée des forêts et le réchauffement climatique. En effet, le grand gibier refluant vers le Nord ou disparaissant tout bonnement, les hommes, de chasseurs-cueilleurs, durent se faire agriculteurs, afin de ne pas mourir de faim.
Avant l’établissement définitif de l’agriculture et de l’élevage, il n’y a pas eu de domestication de la nature. La pauvreté de la végétation européenne est due aux évolutions climatiques ainsi qu’aux reliefs montagneux. Elle n’est nullement le fait des hommes.
Est-ce nous qui avons mal compris les mythes, ou leur réinterprétation tardive qui en a perdu le sens ?
Paradoxalement, quand l’homme vivait dans de vastes plaines, il ne cultivait pas. C’est que le gibier était abondant, la population faible et la terre, souvent gelée, impropre à la culture des sols. Les arbres, au fur et à mesure de leur installation, en découpant le paysage, mais aussi en le fertilisant, en apportant l’ombre et en conservant l’eau, ont permis l’installation pérenne des populations, l’élevage et l’agriculture. Cela a commencé par la Mésopotamie, le croissant fertile et les régions du Caucase, avant de remonter jusqu’à nous via la Grèce, les Balkans et l’Italie.
La vigne est une plante-liane, et on estime que les premières vinifications auraient eu lieu dans la région du Caucase, entre la Géorgie et l’Arménie. C’est en actuelle Géorgie, au bord de la mer noire, que l’on a dénombré la plus grande variété de cépages. Des résidus de vinification ont été retrouvés dans cette région, datés de 6 000 ans avant Jésus-Christ.
Pourtant, les Romains, dont nous sommes toujours tributaires de la vision du monde et de la séparation entre la civilisation et la barbarie, ont appréhendé les choses tout à fait différemment. Peut-être avaient-ils perdu le fil de l’histoire originelle en remodelant l’Histoire tardivement et en définissant la culture comme ce qui s’oppose à la forêt.
Les mythes présupposent une période idéalisée d’harmonie entre l’homme et son environnement naturel. Ils s’attachent à raconter le bouleversement que fut la sédentarisation des hommes, et son action sur la nature.
Ils en craignent les représailles divines. Dans la plupart des mythes, nous retrouvons ce sentiment de culpabilité des hommes à l’égard de Mère-Nature soumise aux appétits des hommes.
Le mythe de l’arbre de vie ou de l’arbre-monde, que l’on retrouve dans de nombreuses cultures, met en lumière le rapport ambigu des hommes à leur environnement naturel. L’arbre est adoré ou révéré comme une divinité pouvant soigner les hommes de leurs maux, qui sont souvent attribués à leurs actions à l’encontre de la nature. Si les hommes souffrent de maladies, c’est que la nature les punit. Et si la nature souffre, les hommes souffrent aussi. Les mythes archaïques mettent au jour un lien très fort et même sacré entre la vie des arbres et celle des hommes. Cela prouve que les hommes du Néolithique étaient conscients de la vie qu’ils devaient à la nature, plus particulièrement aux arbres qui leur avaient apporté la possibilité de cultiver la terre.
Les Romains eux-mêmes craignaient de s’attaquer aux arbres, que tous les peuples antiques divinisaient d’une manière ou d’une autre.
Silva, en latin, signifie sauvage, et c’est pourtant cette racine qui nous a servi à construire les mots définissant les activités se rapportant à la forêt : sylvicole, sylviculture, sylvestre… Chez les Romains, la forêt ("silva") s’oppose à la "respublica", c’est-à-dire la chose publique, le lieu des lois humaines. Les bois formaient pour eux la lisière du monde civilisé, régi par les lois de la République.
L’homme civilisé vivait dans la ville et le barbare dans les bois. L’homme civilisé est donc le sédentaire qui sait cultiver et transformer les produits de la nature. C’était oublier que la civilisation a été rendue possible grâce à l’existence des forêts. Mais on peut comprendre que cette vision du monde, théorisée au début de notre ère, c’est-à-dire plusieurs milliers d’années après les débuts de la sédentarisation, ait oublié les causes profondes de la mutation historique. Les mythes révèlent des choses, et en cachent d’autres, comme nous l’a appris René Girard.
L’Empire romain s’est attelé à développer les villes, les champs voués à la culture et les prairies, au détriment des forêts. Certains peuples, notamment les Gaulois, travaillaient très bien le bois pour en faire des outils, des meubles, des habitations, des moyens de locomotion, des armes, que les Romains leur emprunteraient et porteraient à leur perfection.
Les produits ligneux entraient alors pleinement dans le système économique des sociétés antiques.
Pourtant, contrairement à une idée reçue, la Gaule, à l’époque des Romains, n’était pas recouverte de bois.
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